Chronique / Sauf pour la gloire et pour l’art
Il y a deux cent cinquante ans, ce 15 août 1769, naissait à Ajaccio Napoléon Bonaparte. Un anniversaire marqué par plusieurs manifestations, principalement en Corse. Car les grandes célébrations, c’est pour dans deux ans. En 2021, année du bicentenaire de la mort de l’Empereur des Français. Pour l’occasion, la Fondation Napoléon lance une souscription en faveur de la restauration de son tombeau aux Invalides, à Paris, qui accueille chaque année plus d’un million de visiteurs venus de partout dans le monde.
Employer le terme de mythe à propos de Napoléon fait figure de truisme. Tant l’homme aussi bien que sa légende continuent de fasciner. On ne compte plus les reconstitutions de batailles par des passionnés et un événement tel que le Jubilé impérial de Rueil-Malmaison, près de Paris, en 2017, a rassemblé en deux jours quelques 110'000 personnes.
Avec la Seconde guerre mondiale, la période napoléonienne reste en effet la plus étudiée. Et il ne se passe pas de jour sans que l’on écrive sur Napoléon, sans oublier l’entourage: Joséphine, Talleyrand, les maréchaux... Ainsi dénombre-t-on à ce jour plus de 80'000 livres qui lui sont dédiés. Soit davantage de publications – faites le calcul – que de jours écoulés depuis la mort de l’exilé de Sainte-Hélène à l’âge de cinquante-deux ans, le 5 mai 1821! «Seul Jésus fait mieux», expliquait dans un article de L’Express l’historien Jean Tulard, membre de l’Institut, qui a lui-même consacré pas moins d’une cinquantaine d’ouvrages à l’épopée napoléonienne.
Jubilé impérial à Rueil-Malmaison, le bivouac © Photo R. Aubert
Parmi les livres récemment parus, mentionnons par exemple 15 août 1811 L’apogée de l’Empire? du jeune historien – il est né en 1987 – Charles-Eloi Vial, qui en est déjà à son sixième ouvrage sur la période impériale. Ou encore la réédition du Napoléon d’Elie Faure (1873-1937), ouvrage admiré d’Abel Gance. «Avec votre Napoléon, c’est du feu que je rapporte du fond de l’histoire.» Le grand historien de l’art, l’auteur du fameux Esprit des formes (1927) qui marqua tant d’artistes et d’intellectuels dans l’entre-deux guerres, se laissa lui aussi éblouir par la destinée de Bonaparte, sa dimension artistique autant que révolutionnaire.
Il faut dire que la vie du Corse a tout du roman: général à vingt-quatre ans, sauveur de la Convention, conquérant de l’Italie avec une armée en guenilles, puis de l’Egypte, Premier Consul auteur du Code civil, Empereur des Français, vainqueur d’innombrables batailles aux quatre coins de l’Europe: Austerlitz, Iéna, Eylau; le traité de Tilsit signé avec le tsar Alexandre sur un radeau au milieu du Niémen, qui fait de Napoléon le maître de l’Europe. Et puis c’est la terrible campagne de Russie, la Grande Armée vaincue par l’hiver et par Koutouzov, l’abdication de Fontainebleau, l’exil à l’île d’Elbe jusqu’à l’ultime va-tout, le débarquement à Golf Juan, le retour triomphal à Paris, Waterloo, Sainte-Hélène.
Un créateur de mythes qui s’éblouit de mirages
Convenons-en, il y a là de quoi frapper les esprits. D’autant que l’épopée napoléonienne, au fil du temps, va être magnifiée par Victor Hugo et tant d’autres et popularisée par les images d’Epinal colportées dans les foires. Moi-même, lorsque j’étais enfant, j’avais reçu un album consacré à Napoléon dans la collection «L’Encyclopédie par le timbre» – il s’agissait d’images à coller.
Cela pour la face lumineuse de l’aventure napoléonienne, car il y a bien sûr la face sombre.
Le bilan humain terrifiant de quinze années de guerre se soldant par près de 2 millions et demi de morts et de disparus sur les champs de batailles. L’«Ogre corse» n’en porte certes pas seul la responsabilité. Il n’empêche. C’est une saignée alors sans précédent. Pour ne rien dire des victimes civiles, qui, elles aussi, se comptent par millions. Et puis il y a la nature autoritaire du régime, avec sa censure et sa redoutable police aux mains de Fouché, l’exécuteur des basses œuvres. En même temps, et c’est pourquoi il n’est guère aisé de réduire Napoléon à une seule équation, il demeure qu’on le veuille ou non le continuateur de la Révolution, assurant définitivement ses acquis: abolition des privilèges, justice pour tous, égalité devant la loi, instauration du divorce, etc. La moitié des articles de l’actuel Code civil français provient du Code Napoléon. Et que dire de ce que la Confédération helvétique lui doit? L’Acte de Médiation est à la base de la Suisse moderne. Jusqu’à l’institution préfectorale présente encore dans sept cantons, héritage direct du modèle administratif napoléonien.
J’ai parlé plus haut d’Elie Faure, qui voit en Napoléon un «poète de l’action.» Un créateur de mythes «qui veut faire l’avenir conforme à son sentiment» et qui «s’éblouit de mirages». Il faut prendre au sérieux cette qualité de poète, qui ne se manifeste jamais mieux que dans les proclamations de l’Empereur, dont la plus fameuse certainement, celle du 1er mars 1815: «L'Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame.» Peut-être en fin de compte est-ce l’historien Jacques Bainville, contemporain d’Elie Faure, qui a raison. Il eût mieux valu, écrit-il, que Napoléon jamais n’existât. «Sauf pour la gloire, sauf pour l’art.»
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Lagom 14.08.2019 | 09h35
«Il y a une tendance depuis quelque temps, qui ne faiblit pas, et qui est de valoriser au-delà du raisonnable les anciens, qu’ils aient été bons ou mauvais, peu importe. Je pense que l’éloge funèbre, qui ne connaît pas en français, ni probablement dans les autres langues un terme opposé, en est une cause, bien ancré dans les mœurs et les habitudes partout sur la planète et dans toutes les religions.
Certes les suisses étaient bénéficiaires de la politique de l’empereur mais normalement les français devraient le haïr, car il les a ruinés. Un sanguinaire, un criminel de guerre, qui a tiré sur la foule à Paris avec des canons, qui a enrôlé de force des milliers de soldats français pour agresser d’autres nations. Il a ordonné des tueries de masse et des massacres, volé les récoltent des autres nations en traversant leur pays. Il s’affranchissait des règles de la guerre pour gagner, et les historiens vantent cela en élevant ses agissements au rang de « ruse ».
Cela étant, il s’agit d’un personnage historique qui a marqué l’histoire. Le problème est que le chancelier allemand du début des année 40 est indéniablement un personnage historique.
Devrions-nous craindre que ce dernier devienne un héros dans 2 siècles ? peu importe aucun lecteur de cet article ne sera encore là pour s’en offusquer.
»