Chronique / Richard Millet, un homme seul
Récit d'une déchéance qui touche au sublime.
Faut-il féliciter Annie Ernaux d'être parvenue – soutenue par quarante collabos – à bouter hors de Gallimard un des meilleurs écrivains français, Richard Millet? Je réponds oui sans la moindre hésitation, car nous devons à l'ignominie d'Annie Ernaux de pouvoir lire un pur chef d'œuvre: Étude pour un homme seul qui, n'était la réputation exécrable de son auteur, mériterait d'être encensé par toute la critique. Il n'en sera évidemment rien et Richard Millet devra se contenter de ces quelques lignes. Tout sauf naïf, il ne sait que trop bien que chacun est l'artisan de son malheur: «Le cancer, l'opprobre, le bannissement social, écrit-il, étaient la monnaie de l'étrange marché par lequel les femmes avaient été nombreuses à me signifier qu'elles ne me liraient plus. C'est qu'elles sont devenues si semblables aux hommes qu'elles détournent les attributs du pouvoir dans le langage.»
L'une d'elles – et l'on reconnaîtra Christine Angot sous les traits d'une maigre romancière au visage défait par les années et la vertu idéologique – lui avait lancé: «Vous serez seul désormais, et vous ferez l'amour tout seul, ou bien vous paierez pour le faire... » Ce n'est pas rien la vengeance des femmes, pour la plupart inconsommables après cinquante ans, qui transforment l'enfer de l'âge en despotisme conjugal ou en pouvoir politique. Ne reste donc plus à Richard Millet qu'à renoncer aux femmes et à vivre ce qu'il a compris dès sa jeunesse: d'abord qu'on n'a jamais la femme qu'on désire, ensuite que toutes celles qu'on croit aimer ne sont que des pis-aller et, enfin, que toute femme est une putain qui choisit de s'ignorer pour telle ou non. Et que tout homme est son client plus ou moins conscient, même quand il s'en croit le maître alors qu'il n'est que son serviteur. D'où l'extraordinaire supériorité de la femme.
Le récit de Richard Millet est celui de la déchéance d'un homme: il a enfin atteint l'angle mort de son existence qui est, pour un écrivain, le moment où il commence à exister vraiment. Sa femme de ménage sera son dernier recours, un peu comme l'hôtesse de bar qui acceptera de se suicider avec l'écrivain japonais Ozamu Dazai dans un égout de Tokyo. Arriver à se hisser au niveau de Dazai, seul Richard Millet en avait les moyens littéraires. Il y est parvenu avec cette Étude pour un homme seul. Merci à Annie Ernaux!
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Vincinou 01.05.2019 | 17h35
«
Vaurien… au sens le plus large du terme!
»@Gio 05.12.2019 | 23h48
«Je fais généralement abstraction de l’homme pour ne retenir que ses capacités littéraires. Étude pour un homme seul est un récit qui ne peut pas laisser indifférent , il nous propose le miroir d’une déchéance qu’on préférerait fuir .
»