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Chronique

Chronique / Cioran sous l'occupation


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Cioran racontait volontiers que dans sa jeunesse à Sibiu, quand il écrivait Sur les cimes du désespoir, il était persuadé que ses insomnies le rendraient fou. Et la bicyclette l'a délivré de ses insomnies. Il a acheté sa première bécane en France, en 1938, à un étudiant roumain. Il parcourait la France sur sa bicyclette, dormant dans des auberges de jeunesse – indifféremment catholiques ou communistes – et observait l'esprit capitulard de la France profonde.

Ce qui l'a sauvé moralement sous l'Occupation, c'est sa passion pour l'anglais: il passait ses après-midi à la bibliothèque de l'Institut anglais (elle n'était pas fermée, car elle était dirigée par la fille de Pierre Laval). Il prenait également des cours d'anglais avec une Irlandaise excentrique qui traînait dans les cafés où elle insultait les officiers allemands qui la jugeaient beaucoup trop folle pour être dangereuse. À la Libération, il fut stupéfait de la retrouver métamorphosée, portant avec beaucoup d'élégance l'uniforme britannique.

Comme nous évoquions une fois de plus la perfidie d'un ami commun, je lui dis que j'aimerais lui lire les quelques lignes que voici: «Le psychologue aura vite fait de se lasser des hommes: il manque trop de naïveté pour avoir des amis et d'inconscience pour prendre des maîtresses.» Cioran était emballé par cette réflexion et tenait absolument à savoir qui en était l'auteur. Surprise quand il apprend que c'est lui dans: Les cimes du désespoir. Commentaire: ce n'est finalement pas un si mauvais livre.

Le seul regret de Cioran était que Hitler n'ait pas détruit Paris. Il en avait certes l'intention, mais le général von Choltitz s'y opposa. «J'aurais pu vivre n'importe où si les ordres de Hitler avaient été exécutés... » Quand il plaisantait sur ce sujet lors des dîners en ville, un ange passait...

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