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Chronique / «Là sont les secrets de votre cœur»


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Pourquoi écrit-on des biographies? Qu’est-ce qui pousse un écrivain – une écrivaine – à consacrer des mois de sa vie à une autre œuvre plutôt qu’à la sienne propre? Quels liens se tissent entre le biographe et son modèle? C’est pour répondre à toutes ces questions que Dominique Bona, elle qui a beaucoup écrit sur les autres, publie aujourd’hui Mes vies secrètes. Dans ce très beau livre, à la fois essai et mémoires, l’auteure, qui est aussi romancière, raconte ce qui l’a amenée à s’intéresser tant à Clara Malraux, à Colette, à Paul Valéry qu’à André Maurois ou à Stéphane Zweig. Ce qui, bien sûr, est encore une façon de parler de soi.



Autant l’avouer d’emblée: j’ai une grand admiration pour Dominique Bona, que je tiens pour l’une des meilleures biographes d’aujourd’hui. Son ouvrage consacré à Clara Malraux, la première épouse du romancier de La Condition humaine, est tout simplement magistral, est un modèle du genre. Miracle d’équilibre entre objectivité des faits, quitte à ce qu’ils risquent d’apparaître pour déplaisants, et constante empathie à l’endroit du sujet abordé. Je ne vois guère qu’André Maurois (1885-1967) à qui comparer Dominique Bona. L’auteur de La vie de Disraeli et d’Ariel ou la Vie de Shelley, magnifiques biographies lues dans ma jeunesse, sans oublier bien sûr Les Silences du colonel Bramble ou encore Climats. Maurois à qui Dominique Bona a justement consacré l’un de ses livres. «Cet écrivain, note-t-elle, répand des ondes positives. Il apaise, rassure et fait du bien.» Comment ne pas appliquer ces lignes à celle qui les a écrites?

Toute biographie est une aventure risquée faite de beaucoup de hasard et de rencontres. Ainsi, toujours au sujet de Maurois, c’est à la suite d’une requête de son gendre, Robert Naquet, lui-même se recommandant de Maurice Druon, l’auteur des Rois maudits, que Dominique Bona écrivit sa biographie. Non sans réticences. Maurois faisait partie, explique-t-elle, de «cette génération des M. qui datait un peu» avec les Mauriac, Malraux, Montherlant. «Un auteur dont l’apparence si parfaitement lisse et convenable semblait se confondre avec sa littérature trop sage.»  Et elle aurait décliné si Naquet ne lui avait pas mis entre les mains une boîte à chapeaux avec la mention Ladies: l’ensemble de la correspondance de l’écrivain avec les femmes de sa vie. «Ainsi le plus sage des M. avait-il eu lui aussi sa part d’aventures!» Ces lettres constitueront la matière première d’Il n’y a qu’un amour (Grasset, 2003).

L’alliage du rêve et de la vérité

Parmi toutes les figures artistiques ou littéraires auxquelles Dominique Bona s’est intéressée, celle qui a peut-être le plus compté, avec Camille Claudel, c’est Berthe Morisot (1841-1895). La femme au bouquet de violettes de Manet qui la peint toujours vêtue de noir alors qu’elle-même, dans sa propre peinture, préférait le blanc. «C’est ce contraste qui est à l’origine de ma biographie de Berthe Morisot. C’est ce choc des couleurs. Comment réconcilier le blanc et le noir?» D’autant qu’en art aussi bien que dans sa vie, celle qui avait épousé le frère de Manet n’a poursuivi qu’un seul but, être elle-même, suivre sa propre voie.

«Ce programme de vie, écrit Dominique Bona, m’a immédiatement conquise. Peut-être n’a-t-il fait qu’épouser le mien, en mettant des mots et des images sur ce que je ressentais obscurément et ne savait pas encore dire.»

J’ai parlé plus haut de l’importance du hasard dans tout travail de biographe – je pourrais tout aussi bien dire de chaque écrivain. Il se trouve que préparant son livre sur Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir, l’auteure rencontra Yves Rouart, son arrière-petit-fils, qui lui fit visiter les maisons habitées par son aïeule. Or l’une des cousines de la grand-mère de Rouart, Jeannie, fut l’épouse de Paul Valéry, à qui Dominique Bona consacrera quatorze ans plus tard un livre!

Edouard Manet, Berthe Morisot au bouquet de violettes, huile, 1872, Musée d’Orsay © Wikipedia


Il y a pourtant un écrivain à qui elle aurait aimé dédier un ouvrage, mais pour lequel le destin en décida autrement. C’est «l’ami faulknérien et breton», Michel Mohrt (1914-2011), rencontré chez Simone Gallimard; Michel Mohrt qui, après son élection sous la Coupole, répondit vertement à Maurice Druon qui lui proposait de faire partie de la commission du Dictionnaire: «Ah, non ! J’ai horreur des dictionnaires!» Et puis, clin d’œil du destin, voilà que c’est Dominique Bona qui lui succéda à l’Académie française et finira donc tout de même par brosser son portrait à l’occasion de son discours de réception en 2014. Elue au 33e fauteuil, on trouve parmi ses prédécesseurs Edmond Jaloux et Jean-Louis Vaudoyer, tous deux amants de Marie de Régnier (née Heredia), qui apparaissent dans Les Yeux noirs, ou les Vies extraordinaires des sœurs Heredia (1989)!    

Marie de Régnier en 1898, d’après Pierre Louÿs © Coll. part.


A quoi correspond ce désir de biographie, ne cesse de se demander Dominique Bona? «A une volonté de me cantonner à la vraie vie, au détriment des vies imaginaires? Ou n’était-elle pas plutôt la forme la plus extrême du roman, l’alliage du rêve et de la vérité dans une union parfaite?» A propos de ce que Dominique Bona qualifie de «genre absolu », qui en dit long sur son auteur, bien davantage peut-être que tout autre, un écrivain rencontré au crépuscule de sa vie ne s’y est pas trompé. Il s’agit de François Nourissier. «Dominique, la biographie…, c’est par là que vous nous livrez les secrets de votre cœur.»


Dominique Bona, Mes vies secrètes, Gallimard, 2019



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