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Actuel / Le flegme trompeur de la Suisse

Jacques Pilet

25 juin 2018

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Jamais la controverse entre Européens n’a été aussi vive. La question de la migration s’enflamme à la veille d’une importante réunion des 28. Entre Paris, Rome, Berlin, Madrid, Athènes et Budapest, on s’envoie des flèches… tout en disant de chercher une position commune dont, pour l’heure, on n’entrevoit pas les contours. Et la Suisse? Elle ne dit rien sur le sujet. Elle a le nez collé sur le proche accord institutionnel avec l’UE, elle pinaille sur les mesures d’accompagnement à la liberté de circulation des personnes. Sans voir ce qui va se passer. Les accords de Dublin (qui prévoient que les demandes d’asile soient déposées dans le premier pays abordé) et les accords de Schengen (moins de contrôles aux frontières) vont être révisés. C’est inéluctable, d’autant plus qu’en réalité, ils ne sont pas vraiment appliqués aujourd’hui. Or, nous en sommes signataires. Alors quoi, on se tait?



Dès que l’on aborde cette question, les émotions contradictoires obstruent le débat de fond. D’un côté les grands cœurs qui veulent ouvrir la porte aux malheureux, de l’autre ceux qui craignent une vague migratoire et rêvent de boucler les frontières. A noter au passage que ni les uns ni les autres ne disent comment on pourrait appliquer vraiment ces politiques sur le terrain. 

Mais il y a des gouvernements qui réfléchissent plus froidement au défi, pas toujours d’accord, mais en cherchant des solutions viables. A Paris et Berlin notamment. Trois idées, très controversées, sont dans l’air.

1) D'abord, fin du principe de Dublin; l’Italie et la Grèce ne peuvent pas porter seules la charge des arrivants. Il doit y avoir des critères européens communs pour accorder ou pas l’asile. Ensuite, ceux qui en bénéficient doivent être répartis entre tous, peut-être avec des exceptions, mais ce serait la ligne directrice. Si c’est adopté, les effets pour la Suisse seront immédiats. Chaque jour, les garde-frontières refoulent des migrants à la frontière italienne en se basant sur l’accord de Dublin. Ce ne sera plus possible. Et il est sûr que l’UE demandera à la Suisse de participer au «triage» commun et à la répartition des personnes agréées. 

2) Renforcement des frontières extérieures de l’Europe. Un consensus semble se dessiner entre tous les membres de l’UE. On ne peut plus laisser les passeurs larguer les migrants dans les eaux internationales pour que les bateaux humanitaires viennent les chercher et les amener dans les ports européens. Ce trafic humain rémunérateur dit être combattu. Pour cela, il faut plus de moyens pour la force Frontex. On parle de 10'000 hommes en plus. Fort à parier que la Suisse, aussi concernée que les membres de l’UE, sera sollicitée. 

3) Créer des centres d’accueil, sur le territoire européen ou à la périphérie, peut-être en Afrique même, où les migrants seraient décemment reçus et entendus. En coopération avec l’OIM (Office international des migrations). Les cas de persécution politique seraient distingués et transmis aussitôt à l’organisme européen nouveau pour octroi du droit d’asile. Les cas des migrants économiques (de loin les plus nombreux) seraient aussi examinés. Ceux qui paraissent aptes à l’intégration (niveau d’éducation, état d’esprit) auraient une chance d’entrer des quotas admis par les pays européens qui ont besoin de nouveaux venus, notamment en raison de la baisse démographique. Un peu sur le modèle de la distribution des «green cards» US, accordées notamment au Sénégal. Pour les jeunes Africains, ce serait une lueur d’espoir. Et une incitation à l’éducation. Les autres seraient aidés à rentrer chez eux. Si les filières de passeurs sont vraiment combattues, cela peut convaincre nombre d’entre eux. 

A quand un passage à l'action?

Tout cela se discute. Mais une politique européenne s’impose et la Suisse, au cœur du continent, doit prendre sa part. Rien ne sert de se rassurer en constatant que les flux de migrants ont fortement diminué. Le mouvement repartira à la hausse à la première occasion, enfonçant les pays de départ et provoquant des drames et des crises politiques en Europe.

Surtout ne pas fermer les yeux. Il était frappant de constater le peu d’écho qu’a eu le voyage de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga en Tunisie et au Niger, en septembre passé. Elle avait pu voir la réalité de près. Elle a apporté son appui au centre d’accueil des migrants revenus de Libye et désireux de rentrer chez eux. Qui l’a entendue? C’était une goutte d’eau dans l’océan de souffrances, mais bienvenue. Que le Conseil fédéral tout entier s’engage maintenant. Car ce problème concerne aussi bien la politique étrangère, l’économie et la défense… et l’humanitaire. 

S’émouvoir devant les images de bateaux chargés de migrants, c’est bien. Réfléchir et agir, c’est mieux. 


Précédemment dans Bon pour la tête

Sabine Gisiger: «C'est un film qui parle de nos représentations mentales» – Norbert Creutz

La ruée des Européens vers les côtes nord-africaines – Bon pour la tête

Entrez en matière, avec les accords de Dublin – Joséphine Le Maire

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

5 Commentaires

@Lagom 25.06.2018 | 17h51

«Cher Monsieur Pilet, vous cédez à la facilité dans votre article, alors que des solutions complexes doivent être mis en place en Afrique, pour inverser le phénomène de l'immigration et pour ne pas gonfler davantage les rangs de l'UDC chez nous. Le bio-top et les sous-sols africains sont bien plus riches qu'en Europe. Au lieu de "stocker" les arrivants (pardon pour l'usage de ce terme) il convient de créer les conditions pour un retour massif de tous ces malheureux pour qu'ils puissent vivre dignement dans leurs terres. Si l'Europe pouvait accueillir tous les malheurs du monde le regretté Michel Rocard l'aurait deviné.»


@Giangros 26.06.2018 | 11h43

«Bonjour, j’ai aimé cette politique fiction peut-être pour bientôt ! Amitiés.
C. Bazzanella »


@JeanPaul80 26.06.2018 | 16h14

«La toute première question à se poser est de savoir pourquoi les migrants migrent. Ensuite, il s'agit d'apporter le plus d'aide possible sur place, contrôlée par les pays participant à ce soutien. Pour avoir traversé les pays d'Afrique en long et en large, je me suis aperçu des possibilités énormes qui existent sur place, avec pour corollaire les empois que l'on peut y créer avec un peu d'intelligence et de persévérance. Cela sous-entend une aide sérieuse à la formation et des salaires décents, permettant de vivre correctement dans les pays africains. Quant aux emplois, l'Afrique manque de beaucoup d'infrastructures et d'entreprises viables. C'est dans ces domaines qu'il faudrait agir, non pas en envoyant de l'argent, mais en participant physiquement à la création d'entreprises, pour éviter une corruption endémique. Si l'on agit dans le bon sens, il sera sans doute possible de freiner l'émigration incontrôlée, qui envoie vers l'Europe bon nombre de profiteurs, sans parler de la religion qui bloque souvent les cerveaux et empêche les migrants de trouver leur place dans notre société. Nous ne devrions accueillir que des réfugiés fuyant les conflits et renvoyer les inutiles, sans état d'âme. »


@JoelSutter 28.06.2018 | 12h06

«L'UE et la Suisse pourrait aussi, en parallèle, supprimer l'obligation aux compagnies aériennes de réembarquer un passager sans visa: celà permettra de court-circuiter les passeurs et résoudrait le problème de la Grèce et de l'Italie, puisque les candidats migrants iront directement dans le pays visé. »


@marenostrum 04.07.2018 | 14h56

«@JeanPaul80 ... renvoyer "les inutiles" ! vous n'avez pas peur des mots et surtout vous ne craingnez pas qu'ils se retournent contre vous un jour !
@yvoire ... je comprends votre commentaire, en effet, si l'on donnait un coup d'oeil aux raisons de ces migrations :

- pour des raisons politiques, les ressources du continent africain engendre manipulation et corruption de ces pays par les multinationales et marchands de matières premières, avec l'aide des états occidentaus, sans parler des ventes d'armes.
- pour des raisons économiques, avec les mêmes causes que ci-dessus, le continent africain est exploité et leurs ressources soumises aux conditions occidentales. Nos états sont conscient que le développement de l'Afrique est un problème : écologique et surtout s'ils avaient la maîtrise de ces dernières ce seraient à nos dépends.

La planète est dans un tel état d'incohérence que l'on peut sans risques décréter l'incompétence de nos gouvernance qui ne font plus de politique depuis longtemps et en sont réduite à faire de gestion, entre autre à soutenir un système financier compliqué, insensé et inconscient des dégât qu'il est en train de produire. mais on sait que les hommes ne sont pas doué pour anticiper, c'est au pied du mur qu'ils réagiront, avec des drames humains ... cette fois-ci, il sera peut-être trop tard ! 30 ans que l'on parle environnement (dans le sens large du terme) et en dehors des déclarations d'intention, rien de bien efficace ! La défaite des politiques, des états et des marchés, incapable de véritablement donner un cape ! et on s'acharne à sur des migrants comme s'ils étaient le problème. Si les populations ne prennent pas le pouvoir en exigeant d'être entendues dans les objectifs généraux en soumettant tous les autres agents ... nous iront droit vers des drames comme on en a déjà connus. Grave, douloureux, inhumains et destructeurs. Nos gouvernants ne pourront pas dire qu'il ne savaient pas l'urgence des mesures à prendre sur tout les plans. Ce ne sont pas mes propos qui sont extrême, c'est le laxisme de ces derniers qui le sont ! Continuons à traiter ces problème comme ils l'on été ces 30 dernières années et la vie de nos enfants et petit enfants sera terrible. Je ne crois pas être spécialement pessimiste, juste réaliste.»


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