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A vif

A vif / Entrez en matière, avec les accords de Dublin


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Une exposition sur la poésie administrative qui suscite débat et réflexion. Une exposition empreinte d'un certain didactisme qui permet de mieux comprendre les Accords de Dublin et ses enjeux et qui nous invite à agir, c'est ce que propose «non-entrée en matière», présentée par le Cabanon, le Collectif R et Le Printemps de la poésie, en place à l'Unil jusqu'au 24 mars.



Quelque chose se trame à l'Université de Lausanne, ce lundi 19 mars: une exposition, confrontant les documents administratifs de «non-entrée en matière» reçus par des demandeurs d'asile aux témoignages de ces mêmes personnes; une conférence sur l'utilité des accords de Dublin; une performance artistique; une table ronde – oui, tout cela en une soirée. Trop d'informations à la fois? Prenons les choses dans l'ordre.

L'abîme

Une quinzaine de lettres accrochées sur les murs de béton de l'Anthropole. Quinze lettres de non-entrée en matière, espacées de 60 centimètres les unes des autres. Quinze lettres, similaires en tous points, hormis quelques détails: l'adresse, le pays d'origine, le nom. Quinze lettres qui expliquent calmement que, non, vous ne pouvez pas rester en Suisse. «Il ressort que» votre histoire ne correspond pas à ce que les accords de Dublin permettent. Ou plutôt: si on tient compte des accords de Dublin, on est en droit de refuser votre demande d'asile. Les mots sont précis, les formules absurdes tant la réalité des personnes demandeuses d'asile est loin d'être aussi facile que ce que ces lettres laissent entendre. Derrière le froid administratif, derrière cette apparente objectivité des faits, il y a une multitude de parcours, d'individus, d'histoires.

Ces voix individuelles résonnent, elles, dans le Cabanon. A la lecture (parfois difficile, tant ils sont forts) des différents témoignages anonymes des demandeurs d'asile, on ne peut qu'être bouleversé par l'abîme qui les sépare de la factualité désintéressée dont sont empreints les documents administratifs, tant ces derniers font fi du vécu, de la souffrance et des personnes concernées.

Ainsi est construite l'exposition «non-entrée en matière», réalisée par les membres de l'espace du Cabanon, du collectif R et du Printemps de la poésie: mettre en regard des témoignages subjectifs, incarnés, uniques de migrants et des documents administratifs, déresponsabilisés, sériels. Pour éprouver, par cette scénographie, l'incohérence du système actuel des accords de Dublin.

Eviter le «asylum shopping»

Hier soir, outre l'exposition, avait également lieu une conférence, donnée par Ibrahim Soysüren, juriste et sociologue, sur les accords de Dublin, avec d'entrée de jeu cette question: «A quoi sert le système Dublin?» Beaucoup d'informations ont été rappelées, notamment les objectifs visés par ces accords: éviter le «asylum shopping» (faire une demande d'asile dans plusieurs pays de l'Union Européenne), faire en sorte qu'un seul Etat soit responsable par personne demandeuse d'asile, éviter qu'une personne ne voit sa demande d'asile refusée dans tous les pays de l'UE (ce qui, selon Ibrahim Soysüren, est une invention théorique, dans les faits ce cas de figure ne se rencontrerait pas).

Les accords de Dublin. © 2018 Bon pour la tête

Dès le début de sa conférence, le sociologue admet que la réponse à sa question dépend de l'angle par lequel on aborde les accords. On peut prendre le point de vue des 32 Etats membres: en France, on trouve ce système inefficace alors qu'en Suède et en Suisse, champions dans l'application des accords de Dublin et donc dans le transfert de migrants vers d'autres pays européens (ou partenaires européens), l'efficience du système est appréciée. Le point de vue des demandeurs d'asile: l'incompréhension, face aux refus, face aux accords en eux-mêmes qui sont difficiles à cerner, le sentiment d'être dans un circuit fermé et injuste, la révolte d'être traité comme un objet qu'on déplace, la souffrance de tout quitter et de devoir demander, pendant plusieurs années parfois, l'asile.

Mais on peut regarder aussi les résultats de ces accords: en réalité, plutôt que d'aider les demandeurs dans leur démarche, Dublin III retarde les possibilités de demandes d'asile. En réalité, les individus sont invisibilisés, ils ne peuvent faire leur demande d'asile parce qu'ils ont précédemment foulé un autre sol européen, ils doivent retourner dans ce pays qui est maintenant responsable d'eux, même s'il s'agit de l'Italie où leur situation sera précaire, même s'il s'agit de la Grèce ou de la Hongrie, où l'on sait qu'ils seront susceptibles d'être maltraités. Commence alors l'errance, avant de pouvoir enfin faire une demande d'asile qui soit entendue dans un pays où ils seront en sécurité. En réalité, loin d'être une entraide entre 32 Etats, les accords de Dublin permettent à ses signataires de se déresponsabiliser: «Il ressort que nous ne sommes pas responsables de vous, adressez-vous à tel pays, en charge de vous maintenant».

Pourquoi ces accords, alors? Pour envoyer un signal aux migrants suivants et les dissuader de quitter leur pays en durcissant l'application des accords. Et aussi pour envoyer un signal aux citoyens et leurs donner l'illusion que l'Etat est encore capable de remplir son devoir de protection. Serrer la vis pour donner tort, également, aux contestations populistes qui dénonceraient les mesures trop laxistes. Telles sont les hypothèses évoquées par Ibrahim Soysüren et soutenues (entre autres) par l'une des personnes du public.

Une cruelle ironie

Alain Freudiger, écrivain et performeur, rappelle dans sa performance que les accords de Dublin ont été signés en Irlande, pays d'émigration où, selon les Irlandais qu'il a pu rencontrer, «on quitte le pays quand ça va mal», où le souvenir de la pauvreté passée est entretenu. Cruelle ironie.

Performance d'Alain Freudiger: «Tes données valent plus que toi». © 2018 Bon pour la tête

Il explique aussi que Dublin, ville des accords, est bien éloigné des pays d'où partent les personnes demandeuses d'asile. Et avant de parvenir en Irlande, ces dernières devront traverser nombres de mers et de terres. Cette distance géographique est-elle de mise pour que de tels accords soient signés? Ou n'est-ce qu'une ironie du sort?

Et de poursuivre sa performance par un texte: «Tes données sont plus vraies que toi»: les empreintes digitales de migrants sont plus vraies que leur histoire, que leur voix, que leur parcours. Leurs papiers parlent pour eux. Leur sort dépend de leurs données.

Cette soirée, riche en événements et débats, s'est clôturée par une table ronde où Alain Freudiger, Ibrahim Soysüren, Gilles Merminod et Colin Pahlisch ont parlé de militantisme artistique, de la scénographie de l'exposition et de l'importance de faire entendre la voix de toutes ces personnes demandeuses d'asile. De parler «avec eux», «à côté d'eux» et non pas «à leur place». Pari réussi pour l'exposition, où (et oui, ce n'est pas fini) des enregistrements de femmes témoignant dans leur langue d'origine peuvent être écoutés.

Enregistrements et performance sonore  «If you knew», mise en place par Virginie Jordan. © 2018 Bon pour la tête

Et puis il y a finalement ces cartes, à disposition dans le cabanon, sur lesquelles sont imprimées des phrases de témoignages. Elles sont adressées aux agents et acteurs en charge de la politique migratoire en Suisse. Elles sont là pour exprimer, aux responsables, votre avis. Elles donnent l'opportunité de ne pas rester passif.

© 2018 Bon pour la tête


L'exposition «non-entrée en matière» à voir au Cabanon de l'Unil jusqu'au 24 mars. L'exposition est en accès libre, du lundi au vendredi de 8h à 19h et le samedi de 10h à 18h.

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