Culture / L’amour au temps du SMS
Avec «L’Art de la guerre 2», la comédienne et auteure Sophie-Marie Larrouy donne un manuel de survie amoureuse dans le monde consumériste et un peu vidé de son sens qu’affrontent les trentenaires d’aujourd’hui. Du Nicole de Buron pour millennials.
C’est l’histoire d’une génération. Une histoire intime par le trou de la serrure d’une chambre de fillette puis d’adolescente, dans un foyer moyen où l’on écoute moins France Inter que RTL. Le destin minuscule d’une fille survitaminée qui accepte son existence tout en rejetant les incohérences d’un monde avec lequel il faudra tout de même s’accommoder. Même si le point de départ est dans un «bled pourri» en Alsace. Même si la smala de la narratrice, qui voit souvent rouge, n’a pas de maison de vacances à l’île d’Yeu et regarde Maguy le dimanche soir à la télé.
Lâchetés ordinaires
Dans «L’art de la guerre 2», proposition moderne d’une suite l’ouvrage de Sun Tzu, militaire chinois ayant posé les bases, il y a 1500 ans, d’une stratégie où la ruse est l’arme secrète pour faire capituler l’ennemi, Sophie-Marie Larrouy donne le manuel de survie dans une société de la lutte des sexes. La comédienne de 34 ans, connue pour ses vidéos humoristiques où elle cartographie les petites lâchetés ordinaires du mâle en milieu urbain, a déjà un one man show derrière elle et quelques ouvrages où la futilité, assumée, a toujours un double fond de subtilité. Après Le foot expliqué aux filles, à ma mère et à Didier Deschamps ou Comment ne pas devenir un vieux con, elle propose, avec ce roman sacrément bien fichu, une exploration sensible et plus que jamais alerte des tracas d’une jeunesse qui n’a pas connu la guerre mais frémit quand l’attentat fait rage, se retranchant dans des studettes où enchaîner les clopes devant BFM TV. Une jeunesse désertée par les idéaux, mais qui n’est pas tout à fait convertie au vide cruel de la société de consommation, puisque le nouveau goût de ce monde ne passe pas.
Rétention d’information
C’est le rapport aux adultes qui, dans ce livre décapant, est le plus savoureux. Pour son héroïne, qui confond ce grand-père qu’elle n’a jamais connu avec Dieu puisque tout le monde baisse la tête et la voix quand il est évoqué dans les dîners de famille, il faut se construire dans une rupture douce avec le monde des grands qui semble à des lieues des premières préoccupations adolescentes. Mais ces adultes, qui font bêtement de la rétention d’information au lieu d’aborder les «vrais sujets» sans ambages, le sexe et la mort, l’argent et l’amour, semblent avoir autant de peine que leur descendance à négocier avec un réel confus. Le livre est truffé d’observations désopilantes, les phrases sautillant entre truismes idiots toujours finement observés et réflexions qui font mieux que jamais état de ces contradictions que la jeunesse doit endurer: «Pourquoi les vieilles dames font la collection des poupées si elles veulent pas jouer avec de vrais enfants?»
La crise de Britney
Devenue caissière d’hypermarché après son bac, parce qu’il fallait bien faire quelque chose et que l’ascension sociale lui importe assez peu, le personnage de Sophie-Marie Larrouy, dans une verve gouailleuse qui fait ici office de style, voudrait comprendre son incapacité à se construire un destin. Evoquant la crise de sens d’une Britney Spears, symbole version showbiz de l’hystérie des années 2000 qui s’était rasé la crinière en pleurant, comme pour s’amputer d’un peu de son identité, la jeune Française a de la peine à se supporter. Ayant un peu mieux fixé ses envies à son arrivée dans la capitale, elle aura encore à affronter le monde des garçons, qui lui était jusqu’alors interdit à cause de son allure de fille quelconque. L’amour n’est pas vraiment au programme, passer du bon temps serait déjà grandiose mais les SMS, ces lettres d’amour pas vraiment glamour, ont flouté les messages subliminaux, les rendant aussi indigestes que du code HTML. Attendant toutefois avec fébrilité que son portable vibre, au creux de ses nuits de solitude parisienne, la jeune femme cesse bientôt de se formaliser. Les hommes sont un peu égoïstes, plutôt gauches, et Sophie-Marie Larrouy préconise de ne pas s’arrêter trop longuement sur les échecs amoureux. Mieux vaut foncer vers son idée du bonheur. Et si on souffre en chemin, c’est forcément qu’il faut changer de route.
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