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Chronique

Chronique / Quand les maîtres du temps regardaient le ciel

Stephan Engler

29 août 2020

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Situé au cœur du Parc Jura vaudois, la Vallée de Joux et ses 6'900 habitants, les Combiers sont dispersés sur 3 communes. Cette terre joue des contrastes entre une nature préservée et des activités économiques très performantes. Elle possède 3 lacs entourés de forêts, dont la plus importante est celle du Risoud à l’ouest de la vallée. Avec ses 2'200 hectares, c’est la plus grande forêt d’Europe d’un seul tenant, elle forme une frontière naturelle avec la France sur environ 15 kilomètres. Le point culminant de la Vallée est la Dent de Vaulion (1482 mètres).



Depuis le Col du Mollendruz la route descendante serpente entre les pâturages séparés par les fameux murs de pierre. Quand nous arrivons au rond-point, deux directions s’offrent à nous, Le Pont ou Le Sentier. Face à l’intersection le Lac de Joux se dévoile. Certains matins, même en été, quelques fines nappes de brouillard stagnent avant de disparaître à l’arrivée du soleil. Ce n’est pas pour nous déplaire, cette atmosphère singulière.

Brume matinale près des fermes. © Stephan Engler

A notre premier arrêt pour quelques images, nous sommes interrompus dans nos pensées par les bêlements de chèvres de l’exploitation voisine, très contentes de notre visite matinale. En longeant le Lac de Joux en direction du Sentier, le calme revient. Peut-être est-ce un des facteurs qui a poussé les manufactures horlogères à s’installer ici? Ce calme et cette sérénité naturelle sont propices à un travail de précision. Au bout du lac, le doute s’installe, sommes-nous au bon endroit? Plusieurs panneaux indiquent des noms différents, L’Orient, Le Chenit et enfin Le Sentier où nous voulons aller. L’explication fournie par un habitant est la suivante: il s’agit de fractions de communes qui constituent Le Chenit. Curieuse fantaisie ces indications peu claires dans cette  région reconnue pour la précision de ses montres. A l’extrémité du Lac de Joux se situe la Tête du Lac, ce lieu protégé nous est un avant-goût de cette nature lacustre préservée, chère aux autochtones. Tout près d’ici à Piguet-Dessous une route mène à la fameuse forêt du Risoud peuplée par d’innombrables sapins rouges et berceau de nombreuses histoires de contrebandiers. Selon les locaux il est recommandé de s’équiper d’une carte au 1:25000 pour s’orienter plus facilement et surtout pour ne pas se perdre. 

Panorama depuis La Dent de Vaulion sur la Vallée de Joux. © Stephan Engler

Nous partons en direction du village Le Pont, pour cela nous empruntons la petite route sinueuse et étroite qui longe tant bien que mal le bord du lac. Nous croisons quelques plages avec ses baigneurs, une base nautique et plusieurs restaurants.

Ambiance canadienne sur le Lac de Joux. © Stephan Engler

C’est sur la terrasse de l’un d’eux que nous rencontrons un motard tout droit sorti du film de légende Easy Rider. Ayant parqué son Harley Davidson, une fois assis à notre grande table, il nous signale qu’il est genevois (ce n’est pas le seul ici), mais qu’il vit à St-George (Vaud) est aimerait s’installer à la Vallée car c’est la liberté. En effet, pour beaucoup de visiteurs le Lac de Joux est un écrin entouré par une nature intacte, avec un petit air de Canada sauvage. Renseignement pris, la ville de Genève est distante seulement  d’une soixantaine de kilomètres, depuis longtemps pour l’industrie horlogère ou les loisirs, des liens étroits relient les Combiers et le Genevois. 

Le Lac Ter. © Stephan Engler

En poursuivant notre route, nous découvrons le plus petit des trois lacs, le Lac Ter avec ses nombreux roseaux en contre-bas. Au village suivant, Les Charbonnières nous avons rendez-vous avec Rémy Rochat, historien, pour profiter de ses connaissances sur sa région. La plus ancienne bâtisse est la Tour de L’Abbaye de 1326 située dans le village éponyme. Ses cloches étaient les premières à signaler le temps qui passe.

Dans la Tour de L’Abbaye, la première cloche coulée en 1742 par Durand. © Stephan Engler

Dans la région, vers les années 1480, c’est le travail de la métallurgie, le charbon et les mines de fer qui ont une grande importance pour les habitants. Déjà à cette époque les anciennes familles Berney et Rochat sont présentes dans la région. Plus tard, la boissellerie utilitaire pris son essort avec la fabrication des ustensiles pour les alpages, pour la vigne ainsi que les tonneaux pour les mines de sel de Bex. Peu connu, il y eût aussi l’épisode de la lapidairerie,  prospère 20 ans avant l’horlogerie. La taille de pierre de pacotille a eu un grand succès, principalement au pays de Gex et à Genève. Le commerce du fromage a aussi eu beaucoup d’importance, représenté par l’emblématique Henry Rochat Golay, affineur et marchand au Pont dès 1880. C’est à ce Baron du fromage que l’on doit la grande bâtisse du Chalet Suisse construit en 1906.

Quelques vaches au Col du Marchairuz. © Stephan Engler

La plus connue des activités de la Vallée est bien sûr l’horlogerie. Son histoire débute avec Samuel Olivier Meylan. En 1740 il quitte la Vallée afin d’apprendre ce métier et de revenir chez lui avec son savoir-faire. A cette époque et jusqu’en 1776 les maîtrises (corporations professionnelles) protègent jalousement leur métier. Si les horlogers confectionnaient à l'origine la montre entière (mouvement et boîte), une nouvelle méthode de production parcellisée, en «parties brisées» vit le jour. Dès lors, les artisans se sont spécialisés dans la fabrication d’une partie spécifique. Aujourd’hui, quatre sociétés horlogères prestigieuses sont implantées à la Vallée de Joux. 

Après ce moment d’histoire nous poursuivons notre route jusqu’au Lac Brenet avec en premier plan un gazon fraîchement tondu qui met en valeur de ce lieu de détente prisé. Notre tour du Lac de Joux se termine par la traversée du village Le Pont avant de rejoindre la route en direction de la Dent de Vaulion. Après de nombreux virages c’est l’arrivée au parking, une petite marche de 15 minutes et nous découvrons le point de vue dont tous les Combiers nous ont parlé en termes élogieux. Le panorama en vaut la peine. Depuis ici, nous avons une vue imprenable sur toute la Vallée de Joux, mais aussi sur le Lac de Neuchâtel, Bienne, Morat et le Lac Léman ainsi que la chaîne des Alpes et le massif du Mont Blanc. 

La Dent de Vaulion tôt le matin. © Stephan Engler

Le lendemain après-midi nous arrivons à AstroVal l’observatoire situé au-dessus du village Le Solliat. Il est idéalement situé car éloigné des grands centres urbains qui génèrent une pollution lumineuse. La coupole blanche de l’observatoire est posée au milieu d’un pré, selon les saisons ce pâturage est aussi fréquenté par les vaches qui le partagent avec les visiteurs.

C’est Maxime Spano, astronome qui nous accueille en ces lieux. L’association AstroVal existe depuis 2004, créée par des passionnés d’astronomie, actuellement celle-ci comporte une centaine de membres. C’est en 2012 que l’observatoire actuel a été inauguré. Sa pièce maitresse, un télescope Ritchey-Chrétien de 610 mm, possède la même formule optique que le télescope spatial Hubble. Nous sommes en pleine journée, Maxime Spano nous propose de regarder le soleil à travers un télescope spécifique. Après quelques minutes, l’installation est prête, nous avons le privilège de découvrir à travers filtres et lentilles une éruption solaire en forme d’arche. 

Maxime Spano, astronome devant l’observatoire. © Stephan Engler

C’est tout naturellement que cette activité a trouvé sa place ici, car bien avant les montres à complications ce sont les observations et mesures astronomiques qui indiquaient le temps le plus précis.


En savoir plus:


Découvrez ou relisez les deux premiers épisodes de la série Été en Suisse de Stephan Engler: L’aventure humaine des grandes lignes ferroviaires et Lötschental et Tchäggätä: Nature et légendes du Vieux Pays.

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