A vif / L’aveu d’un barbare
Le ministre de l’Intérieur français a dit tout le mal qu’il pensait de Mai 68, qui «a fabriqué des barbares». Pourtant, ce fut une décennie de vent frais, avec des slogans comme «Il est interdit d’interdire» ou, en Suisse, «Rasez les Alpes qu’on voie la mer».
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur français, chef du parti LR, nous éclaire. Dans une grande interview, il affirme que Mai 68 «a fabriqué des barbares». Il attribue la montée de la violence, de l’irrespect et de la perte d’autorité à cet héritage politico-culturel. Selon lui, les idéaux progressistes de cette période, qui prônaient la libération des mœurs et la remise en cause des interdits, ont abouti à une société permissive et «sans repères».
Mai 68? Ce fut une décennie de vents frais. En France, en Suisse aussi avec un peu de retard. La culture s’ébrouait, le cinéma surtout. Les amours se nouaient plus légèrement. On se moquait des pions et des flics de tous poils. Cela dura une décennie. Sans grandes répercussions dans les lois: très tôt, les détenteurs du pouvoir, inquiets de ces jeux de mots impertinents, ne cessèrent de resserrer les vis réglementaires.
«Sous les pavés la plage»
Quand apparut la fameuse affiche «Il est interdit d’interdire», Retailleau avait dix ans, dans une école privée catho, au fond de la Vendée conservatrice. Mais elle lui fait encore mal au ventre. Tout comme: «Sous les pavés la plage». Plus tard, le personnage devenu aujourd’hui star politico-médiatique fut pendant de longues années l’un des piliers du spectacle rituel du Fou du Roy de Philippe de Villiers. Voilà la France que ce petit monde apprécie: hommage au passé mythique et glorieux, chapeau bas devant l’autorité.
Je dois passer ici aux aveux. La décennie qui suivit mai 68 me parut fort plaisante. Le slogan «Rasez les Alpes qu’on voie la mer» plaisait aux gamins trublions et rêveurs que nous étions. Je suis donc, très modestement, de ceux qui, selon le ministre, ont accouché des barbares qui ruinent aujourd’hui la société française. L’heure des regrets? Il faut bien admettre que les soixante-huitards, s’ils ont pris leur pied à l’époque, n’ont pas fait grand-chose de leurs convictions libertaires par la suite. Ils démontrèrent au contraire, bien souvent, de grandes habiletés pour s’intégrer dans les systèmes dominants. Regret enfin que les voix rebelles d’aujourd’hui, mea culpa, soient moins drôles et inventives qu’à la fameuse époque.
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