Chronique / Montherlant sans masque
S'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.
Alors que cette année marque le 45e anniversaire de la mort d’Henry de Montherlant, le 7 novembre prochain, à Paris, chez Artcurial, sera dispersée aux enchères la collection d’antiques de l’écrivain. Vertige soudain du temps. Car avec cette annonce, c’est tout un passé de lectures et d’admiration qui brusquement ressurgit.
La nouvelle de son décès en 1972 avait fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel des Lettres. Souffrant de plus en plus – il avait reçu sept éclats d’obus durant la Grande Guerre –, menacé de cécité et de paralysie, Montherlant, à l’exemple de ces Romains stoïciens qu’il admirait tant, avait choisi de s’ôter la vie. Le 21 septembre, il se tirait une balle à son domicile parisien. L’auteur des «Célibataires», de «La Reine morte», de «La Ville dont le prince est un enfant», avait 77 ans. Le jour choisi ne devait rien au hasard: cet «équinoxe de septembre», qui est aussi le titre de l’un de ses livres.
Comme plus tard lors de la mort d’André Malraux, le destin fit que je me trouvais à Paris. Je me souviens encore de mon émotion lorsque, le lendemain, je me rendis devant le n°25 du Quai Voltaire. L’immeuble où Montherlant venait de se donner la mort, assis dans le fauteuil dessiné par le peintre David et ayant appartenu au mobilier de Napoléon aux Tuileries, entouré des torses et des visages de marbre et de bronze proposés aujourd’hui à la vente.
Montherlant dans le fauteuil dessiné
par David, 1954 © France-Illustration
«Ce sont mes fontaines de Rome», disait-il de ces pièces, parmi lesquelles un bronze romain qu’il chérissait par-dessus tout: une visière de casque en forme de masque du 1er-2e siècle. Inspiré des modèles hellénistiques, l’officier, au moment de la bataille, la rabattait sur son visage, arborant «au cœur de la mêlée cette image de la sagesse apollinienne. Le sang et l’esprit.»
Ces deux derniers mots dépeignent Montherlant tout entier. Tour à tour héros de guerre, adepte de sports violents, toréro, voyageur, l’écrivain a cultivé sa vie durant une haute idée de l’homme. Dans «Le Paradis à l’ombre des épées» (1924), il est l’un des premiers à célébrer la noblesse du sport. Il ne s’agit bien sûr pas seulement d’efforts physiques, de grand air ou de l’anneau cendré avec ses athlètes «créés d’une poignée de vent». Dans son œuvre, Montherlant balance sans cesse entre «le Tibre et l’Oronte». Entre Rome, le catholicisme, la Renaissance, la tradition, et l’Orient. Ce qu’il nomme les «valeurs féminines». L’amour, la sensualité. Cette inlassable quête qui est au cœur du roman «La Rose de Sable», écrit dans les années 1930 à Alger, et qui ne paraîtra qu’en 1968.
L’un des grands auteurs de théâtre du XXe siècle
Lorsqu’on évoque Montherlant, l’on pense évidemment d’abord à l’immense dramaturge qu’il fut. Dont plusieurs œuvres figurent au répertoire de la Comédie française. En particulier, ce qu’il appelait ses «pièces catholiques». En vérité, peu d’écrivains, pas même Claudel, ont su comme Montherlant parler du catholicisme. Peut-être parce lui-même n’était pas croyant; parce qu’il y voyait d’abord le décor d’un drame humain, trop humain. C’est tout le sens de ce chef d’œuvre absolu qu’est «Port-Royal», débat sur la conscience et le libre arbitre. Pièce vue il y a bien longtemps dans la mise en scène de Jean Meyer avec la toute jeune Isabelle Adjani.
Mais je l’ai dit, les vrais inspirateurs de Montherlant restent les Anciens. «Les sculptures antiques, disait-il encore, s’expriment par un rien.» C’est pourquoi il avait émis le vœu d’être inhumé avec son masque romain. Ce qui lui fut refusé. Aussi il choisira d’être incinéré – toujours l’imitation des Romains. Et c’est Gabriel Matzneff qui répandra ses cendres sur le Forum et dans le Tibre.
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