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Chronique / Le mystère de Jean l’Oiseleur


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Nombreux sont les écrivains qui, en marge de leur œuvre littéraire, ont dessiné. Victor Hugo, bien sûr, et ses Burgs fantastiques; Paul Valéry, à qui l’on doit plusieurs portraits de sa maîtresse, la romancière Jeanne Loviton. Montherlant, qui n’est pas le moins doué, comme en témoignent ses croquis de corridas au temps des «Bestiaires» (1926). Et puis il y a le cas, tout à fait à part, de Jean Cocteau. Touche à tout de génie, artiste complet, autant dessinateur, cinéaste – la Nouvelle vague le prit pour maître – que poète, homme de théâtre ou romancier. Cocteau qui, en virtuose, exploite toutes les possibilités de la palette artistique. Pour qui dessiner représente tout simplement une autre façon d’écrire.



A propos de son travail de dessinateur, Cocteau parlera d’ailleurs plus tard de poésie graphique. Dédiant à Picasso son premier album intitulé sobrement Dessins paru chez Stock en 1923, il explique: «Les poètes ne dessinent pas. Ils dénouent l’écriture et la renouent ensuite autrement.» Dans une première version, Cocteau avait d’abord écrit: «Les dessins de poètes ne sont pas du dessin. Plutôt de l’écriture qui se déguise, des majuscules dénouées, renouées ensuite autrement. Portraits, charges, ménagerie de notre subconscience.»


Picasso dans son atelier, dessin de Jean Cocteau, 1923 © Coll. Part.


Comportant 124 planches, ce premier ensemble reproduit pèle mêle des caricatures, notamment des membres de la troupe des Ballets russes, de simples croquis et des esquisses, des scènes de genre, renvoyant lointainement à Daumier, ainsi que des portraits d’artistes, dont un dessin représentant Picasso dans son atelier. De l’amoncellement des toiles émerge l’ovale pur du beau visage d’Olga Khokhlova, la danseuse de la troupe de Diaghilev épousée par le peintre en 1918. Salué notamment par Jacques-Emile Blanche dans Les Nouvelles Littéraires, ce premier recueil sera suivi de plusieurs autres, dont Maison de santé, réalisé durant une cure de désintoxication, et Vingt-cinq dessins d’un dormeur, en l’occurrence Jean Desbordes. A quoi s’ajoutent des séries liées plus directement à des livres, comme les Soixante dessins pour Les Enfants terribles. Car pour Cocteau tout est prétexte à dessiner.

J’écoute les étoiles

C’est pour lui une respiration essentielle proche du rêve ou en tout cas une forme d’improvisation qui s’apparente à celle du jazz, ainsi qu’il l’expliquait en 1959. Dessiner, c’est s’abandonner, confiant en quelque sorte dans sa ligne, comme il le note dans la préface aux Vingt-cinq dessins d’un dormeur (1925). «Pour tracer une ligne vivante, écrit-il, et ne pas trembler de la savoir en danger de mort sur tous les points de sa route, il me faut dormir d’une sorte de sommeil, laisser descendre sans réserve les sources de ma vie dans ma main, et que cette main finisse par travailler seule, par voler en rêve, par se mouvoir sans se soucier de moi.»

Parmi les dessins les plus étonnants que Cocteau nous ait légués figure assurément la série intitulée Le mystère de Jean l’Oiseleur. Elle consiste en trente et un autoportraits réalisés durant l’été et l’automne 1924 à Villefranche-sur-Mer. Anéanti par la mort quelques mois plus tôt de Raymond Radiguet (1903-1923), le jeune écrivain qu’il a contribué à révéler, Cocteau songe au suicide: «Je suis amputé du meilleur de moi-même. Je n’écrirai plus.»

Réfugié à l’hôtel Welcome, cherchant à oublier sa douleur dans les fumées de l’opium, il passe de longs jours prostrés dans sa chambre. Jusqu’au moment où la contemplation de son reflet dans le miroir de l’armoire à glace fait naître en lui l’idée d’une sorte d’examen, d’autocritique. Il installe alors sa table face à cette image de lui-même qu’il entreprend de dessiner. Et le miracle se produit, qui n’est pas autre chose que le miracle de la création. Il s’agit certes toujours du même visage, sinon de la même pause, mais jamais tout à fait du même motif. Et ce qui caractérise cette série de dessins, qui se présentent un peu à la façon des variations autour d’une même ligne mélodique, c’est avant tout leur suprême élégance. A l’image du poète, à la mise toujours impeccable dans des vêtements à la coupe irréprochable.


Le mystère de Jean l’Oiseleur, planche 8 © Editions des Saints Pères


Dans les marges, tandis qu’il scrute son visage, Cocteau note, non sans repentirs, à la différence des dessins, les pensées fugitives, souvenirs, leitmotivs qui l’habitent, reflets de la perte qu’il vient de vivre. «Maintenant je reste seul, stupéfait de tristesse, debout au milieu des décombres d’une usine de cristal.» Ou encore, «Mes amis où êtes-vous? Pitié! Tendez-moi une main d’ombre.» Or ce travail de catharsis, d’introspection redonne peu à peu le goût de vivre à Cocteau, qui s’avise qu’il avait promis un manuscrit à l’éditeur Edouard Champion. Ce sera Le mystère de Jean l’Oiseleur, qui paraît grâce à un processus de phototypie en 1925. Le dernier dessin nous montre le poète debout environné d’étoiles, la fameuse étoile à cinq branches partie intégrante de sa signature. «J’écoute les étoiles».



Jean Cocteau, Le mystère de Jean l’Oiseleur, Editions des Saints Pères


Lien internet: Jean Cocteau à propos du dessin, 1959.

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