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Analyse


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Les derniers prix Nobel de la saison 2021 sont tombés. Après le Nobel de la paix, attribué à un journaliste russe anti-Poutine et une journaliste philippine anti-Duterte, le prix Nobel d’économie est allé, une fois de plus, à des Nord-Américains. Dans les deux cas, on peut regretter ces choix, qui traduisent des biais de plus en plus patents, et qui, à notre avis, portent atteinte au prestige de ces prix malgré la qualité de travaux récompensés.



Prenons le cas des Nobel de la paix. On se souvient de l’attribution, plus que discutable, de ce prix à Barack Obama en 2009, un président qui n’a pas hésité à pratiquer l’assassinat par drone, à bombarder la Libye et la Syrie et n’a pas fermé la prison de Guantanamo comme il l’avait promis. En 2010, on récidivait en récompensant l’Union européenne pour sa contribution à la paix en Europe, alors que la plupart des membres s’étaient joints au bombardement illégal de la Serbie en 1999. Et en 2019, c’est le président éthiopien Abiy Ahmed, initiateur de la guerre au Tigray, qui se voyait couronné... 

Un agenda occidental?

Quant aux deux lauréats 2021, ils n’ont pas démérité, certes, et les médias n’ont pas manqué de s’en réjouir. Mais il y a un petit hic: ces deux personnalités n’ont strictement rien à voir avec la paix, ni même avec les buts du prix, qui est censé récompenser «la personnalité ou l’organisme ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix.» Les vrais activistes pour la paix ne manquent pourtant pas, du professeur Richard Falk, rapporteur pour la Palestine et pacifiste reconnu, à Mel Duncan, directeur de Nonviolent Peaceforce, en passant par Julian Assange, dénonciateur des crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan. 

Mais voilà, ces candidats-là ne remplissent pas l’agenda des va-t-en guerre occidentaux et se contentent de dénoncer les violations des droits de l’Homme dans des pays hostiles à l’Occident, tout en étant d’ailleurs financés par lui, comme c’est le cas du journal russe Novaya Gazeta et du site philippin de Maria Ressa. Et quand on sait que la Norvège est en train de chercher des prétextes pour construire de nouvelles bases militaires de l’OTAN sur son sol pour contrer la Russie et que le président Duterte avait commencé son mandat en se rapprochant de la Chine et en voulant fermer les bases américaines dans son pays, on peut sérieusement douter de l’objectivité de ces choix. 

Les biais du soft power nord-américain

Quant aux autres prix Nobel, ils sont eux aussi sujets à des biais. Sur 889 lauréats couronnés depuis 1901, 566 sont d’origine nord-américaine dont près de 400 des Etats-Unis. Sur 99 Nobel d’économie décernés depuis la création du prix par la banque de Suède, 69 lauréats venaient soit des Etats-Unis, soit de Grande-Bretagne ou du Canada. L’université de Chicago, siège de la fameuse école néolibérale éponyme, a reçu à elle seule neuf Nobel d’économie! Il y a une dizaine d’années, des chercheurs avaient montré comment les universités américaines, avec le soutien du Département d’Etat, avaient peu à peu investi les comités de sélection des prix en les truffant de chercheurs américains afin de déployer au mieux le soft power maison et orienter l’attribution des prix en leur faveur. Succès total. Inutile de dire que ces travaux n’ont jamais obtenu la moindre récompense et ont disparu des écrans… Enfin on mentionnera aussi que les féministes, mais c’est devenu très tendance aujourd’hui, font remarquer avec justesse que le prix ne récompense qu’une femme pour quinze hommes…

Il serait donc temps que les comités Nobel retrouvent leurs fondamentaux, fassent plus de science et de littérature et prêtent davantage d’attention à la paix qu’à la politique.

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