Média indocile – nouvelle formule

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Actuel / Mouvementée, l’histoire de la SSR !

Jacques Pilet

5 janvier 2018

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L’initiative qui vise de fait l’existence même de la radio-télévision publique est un épisode de plus dans une longue succession de polémiques, dès ses débuts en 1931. Sans doute le plus lourd de conséquences.



Dès que la radio apparut et révéla son pouvoir politique, le Conseil fédéral s’en soucia de près. Il constatait les difficultés des nombreuses radios locales nées dès 1923, issues de toutes sortes de coopératives. Il fut décidé de les grouper sous l’égide de la SSR en 1931. Des studios furent installés dans les grandes villes. Cela inquiéta les éditeurs qui considéraient l’information comme leur chasse gardée. Il fut donc précisé que les ondes ne serviraient qu’à l’instruction et au divertissement. Seule l’Agence télégraphique suisse, à Berne, était autorisée à donner les nouvelles. Ces restrictions provoquèrent l’ire de la gauche, inquiète de voir l’espace politique occupé principalement par des entreprises privées marquées à droite. Un organisme dédié à ce combat vit le jour : l’Arbus (Arbeiter Radio Bund der Schweiz) qui existe aujourd’hui encore. Les Romands combattirent les velléités centralisatrices et obtinrent le maintien de Radio-Genève et de Radio-Lausanne qui se partagèrent le temps d’antenne sur l’émetteur de Sottes.

Lorsque la guerre éclata, en 1939, le Conseil fédéral retira sa concession à la SSR et instaura une radio d’Etat à l’exclusion de tout autre émetteur. Ce qui n’empêcha pas la radio de jouer un rôle… européen. Non seulement les Suisses mais nombre d’auditeurs des pays voisins écoutaient notamment les chroniques de politique étrangère du légendaire René Payot.

En 1945, la SSR retrouva son statut plus ou moins indépendant. Le système de la redevance fut mis en place. Très critiqué par la gauche qui y voyait un impôt… et préconisait le financement par la publicité !

Apre combat

L’essor de la radio fut tel que les limitations voulues par les éditeurs de journaux disparurent. Mais le combat restait âpre. En 1957, le Conseil fédéral et le Parlement entendait rédiger enfin un article constitutionnel pour consacrer la SSR et son financement. Le peuple refusa ! Suivi une période de bricolages, avec l’aide d’un prêt de la Confédération. La télévision apparut. Diffusée par des studios genevois et lausannois, finalement réunis sur la même antenne. Au début des années 70, il y avait un million de foyers devant le petit écran… mais toujours pas d’article constitutionnel.

C’est à cette époque que se manifesta le « Club Hofer », une organisation de droite – à laquelle adhérait un certain Christoph Blocher – qui sermonnait la SSR pour son prétendu « gauchisme ». En 1974, le Zurichois Roger Schawinski lança un émetteur-radio pirate à partir de l’Italie. Le monopole de la SSR commençait à s’éroder. Plusieurs radios locales suivirent. 

Il fallut attendre 1984 pour que les Suisses approuvent un article constitutionnel sur la radio et la télévision. Avec l’autorisation des stations privées. Leur foisonnement ne durera pas. Quelques-unes ont résisté. Aujourd’hui, en Suisse allemande, le groupe AZ, de la famille Wanner, exploite trois TV et deux radios locales. La NZZ contrôle deux chaînes de télévision et trois radios. Une de chaque média appartient au groupe de Suisse orientale de la famille Lebrument. TAMedia qui avait racheté « Télé-Züri » a choisi de s’en défaire (au profit de AZ).

Une part de lion pour les chaînes étrangères

En Suisse romande, plusieurs télés privées se maintiennent tant bien que mal, avec une part de la redevance SSR et avec l’aide des cantons et des villes : Léman Bleu (GE), La Télé (VD-FR), Canal9 (VS), Canal Alpha (NE), Canal Alpha (JU), Nyonrégion TV, Télébilingue (Bienne). La portée de ces programmes, en dépit de leur qualité, reste cependant limitée. A mentionner aussi des canaux privés sans concession comme RougeTV, Becurious, MaxTV, TVM3, LFM TV. Ce sont plutôt les chaînes étrangères qui se taillent la part du lion face à la télévision publique.

Ce paysage, même s’il révèle des pépites, ne laisse pas augurer un avenir riant si l’initiative No-Billag passe. Seule la SSR, aujourd’hui comme hier, est en mesure de fournir des programmes complets et ambitieux.

Son histoire ne s’arrêtera pas le 9 mars. Si le oui l’emporte, elle devra avec créativité sauver les meubles ou ce qui en restera. Si le texte des casseurs du service public est repoussé, d’autres échéances s’annonceront. A commencer par le sort qui sera fait au nouvel article constitutionnel voulu par le Conseil fédéral et soumis actuellement en consultation. Il prévoit une baisse de la redevance, un plafonnement du financement à 1,2 milliard, un recentrage des programmes sur le service public, avec notamment l’obligation de consacrer 50% du budget à l’information. 

Les ultra-libéraux à qui la notion même d’Etat donne des allergies poursuivront leur harcèlement même s’ils perdent la partie au printemps. Pour cela faudrait-il encore que la campagne démarre enfin sur d’autres argumentaires que ceux rabâchés ces dernières semaines.


Précédemment dans Bon pour la tête

«Pas de plan B viable pour des émissions comme Temps Présent», par Denis Masmejan

«Ma mission va être d’essayer de comprendre ce qu’on a fait faux», par Anna Lietti

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Astoria 05.01.2018 | 13h59

«Merci pour ce rappel judicieux, mais il y eut l'épisode de notre licenciement octobre 1971 , précédé par l'intrusion des jeunes autonomes de Zurich lors d'une émission en direct à Zurich "eine , zvei, drei bunker frei" qui traumatisa la direction de la SSR et nous valut cette terrible suspicion!
Marlène Belilos»


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