A vif / Le morne débat Merkel/Schulz et ses non-dits
Pour le spectateur habitué aux joutes électorales françaises, le duel Angela Merkel-Martin Schulz était d’un ennui inimaginable. On savait la chancelière sûre d’elle, quasiment assurée de sa prochaine victoire avec ses 15 points d’avance. On savait le challenger socialiste freiné dans la critique par la participation de son parti au pouvoir, soucieux de ne pas choquer et d’éviter tout faux-pas. On savait que les deux adversaires allaient modérer le ton, éviter les éclats de voix qui passent mal en Allemagne. Mais la tonalité incroyablement consensuelle du débat était stupéfiant. Un commentateur remarquait qu’il y eut plus de vivacité et d’esprit critique chez les modérateurs que chez les deux poids lourds prétendument opposés.
Le malheureux Schulz qui comptait sur cette émission pour renverser la tendance peut oublier son ambition de devenir chancelier. Il lui reste à espérer un rôle dans une nouvelle coalition CDU/SPD qui n’est d’ailleurs pas certaine. Car les chrétiens-démocrates pourraient trouver une majorité avec les libéraux et une partie des verts.
Celui qui brillait en tribun au Parlement européen parut terne. Avec une vague angoisse au fond du regard. Il apparaissait comme un possible second de la chancelière, d’accord avec elle sur la plupart des sujets… Un tout gentil socialiste. Il a certes pourfendu la Turquie, il veut dénoncer l’accord sur le blocage des migrants, interrompre les pourparlers avec l’Union européenne. Cela ne suffira pas à rassurer une partie de l’opinion inquiète de la forte présence de l’islam dans la société allemande. Il prône la fermeté, face à Trump, à Poutine, à Erdogan mais quelque chose dit, sur son visage et dans le choix des mots, qu’en fait, s’il arrive au pouvoir, rien ou à peu près ne changera à cet égard.
Même sur le terrain qu’il voulait investir, la justice sociale, la pauvreté, la précarité du travail, le défenseur des travailleurs et des pauvres manqua de flamme, n’esquissa aucune proposition ébouriffante. Il paraissait réciter son couplet, sans aucune. La seule phrase qui a fait mouche: «En 60 secondes, une infirmière gagne quelques centimes, un manager 30 euros». Angela Merkel l’écoutait avec une attention maternelle et hochait du chef à la plupart de ces propos qui se voulaient de gauche. «Nous voilà bien avancés!», ont dû se dire, dans une moue amère, celles et ceux qui espèrent un changement dans leur vie. Quant à la masse satisfaite de son sort, elle ira tranquillement voter pour Merkel. Avec une nuance: les sondages d’après l’émission font apparaître que le socialiste a «déçu en bien», comme disent les Vaudois. La chancelière reste néanmoins en tête au classement de la confiance.
Politique étrangère? Le néant
Cette femme dégage une tranquille assurance qui plaît. Elle sait même sourire avec soudain, pendant quelques secondes, une mine de jeune fille. Sur le fond, elle ne fait que répéter ses habituels, défend sa politique d’accueil des réfugiés, aujourd’hui restreinte, elle met en avant les succès de l’économie et la baisse du chômage. Mais habilement, elle évoque le fait que le monde du travail est en pleine mutation, que les emplois industriels qui paraissent les plus solides pourraient être menacés. Elle en appelle à l’innovation, à l’adaptation… en termes bien flous, il est vrai. Pas un mot de Schulz sur ce sujet qui préoccupe de plus en plus non seulement les Allemands mais tous les Européens.
Le débat s’est concentré sur les sujets les plus discutés dans l’opinion publique: les immigrés, l’islam, la Turquie, le terrorisme et… la taxe autoroutière. Mais au chapitre de la politique étrangère, comme ce fut le cas lors des campagnes françaises, ce fut quasiment le néant. Comment réformer l’Union européenne? Quelle solidarité avec les pays du sud? Comment réagir aux provocations des nationalistes est-européens? Et l’Allemagne face à la Russie? Face au Moyen-Orient? Quelques bouts de phrases convenues, pas un mot fort à retenir.
Ce moment étrange de la politique allemande en dit plus sur ce pays par ce qu’il tait que par ce qu’il exprime. La liste est longue de tous les non-dits. Certains silences rassurent peut-être les Allemands mais sûrement pas les partenaires de ce pays-clé de l’Europe. Nous y reviendrons.
Bon pour la tête, la suite
Les non-dits de la politique allemande, par Jacques Pilet
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