Actuel / Les non-dits de la politique allemande
Le pays-clé entre tous en Europe s'apprête à choisir son gouvernement pour les quatre prochaines années: l'Allemagne. Or la campagne intéresse bien peu ses voisins. Il faut dire qu'elle ennuie aussi les électeurs eux-mêmes. Et pour cause: il est à peu près acquis qu'Angela Merkel restera au pouvoir. Son rival Martin Schulz se montre si gentil à son égard qu'on le soupçonne de chercher plutôt à reconduire l'alliance gauche-droite actuelle. Cette concordance des discours, triste expression de la démocratie, laisse dans l'ombre plusieurs sujets épineux. Rappel des non-dits.
La sécurité. Les Allemands s'alarment de la criminalité qui progresse dans les grandes villes. Or le système policier paraît dépassé. La division des pouvoirs entre les communes, les Etats et le pouvoir fédéral conduit à des incohérences dont profitent les bandes criminelles. Les policiers formés à la vieille école sont éloignés du terrain, perdent prise sur les quartiers où règnent les voyous. Face à cette inquiétude, Merkel et Schulz ont quelques rengaines convenues mais aucun plan. Seule la CSU, l'alliée bavaroise de la CDU, tape sur ce clou. Mais pas sûr qu'elle réussisse mieux à Munich qu'à Berlin.
La pauvreté. C'est la grande déception de la gauche: le leader socialiste n'a pas su imposer l'urgence d'une politique sociale. Le chômage régresse mais au prix de l'extension du travail mal payé et précaire. Certes un salaire minimum a été fixé (8,5 euros/heure) mais le plus souvent, il ne suffit pas à une existence digne. D'autant plus qu'il n'est pas toujours appliqué: des sous-traitants est-européens fournissent une main d'œuvre corvéable à merci. L'extrême-gauche («Die Linke») se profile sur ce sujet mais avec des tonalités post-communistes qui passent mal.
L'avenir du travail. Le sujet a été effleuré par Angela Merkel. La digitalisation bouleverse et bouleversera plus encore les entreprises, aussi bien dans les services que dans l'industrie. Comment s'y préparer? Comment garantir les emplois de demain? Mystère.
Le communautarisme. Les quatre millions de musulmans qui vivent en Allemagne sont pour la plupart bien intégrés, nullement tentés par le djihadisme. Mais la tendance au repli social et culturel de ces communautés est évidente. Toutes sortes d'initiatives sont prises pour contrecarrer le phénomène, mais elles n'y suffisent pas. Les beaux discours humanistes des partis au pouvoir ne suffisent plus. La nécessité de mesures concrètes s'impose. On ne les voit pas venir.
L'environnement. Pas un mot dans la campagne électorale sur un fait qui contredit la bonne image écologique du pays. L'Allemagne n'exporte pas seulement des voitures et des machines, elle inonde les marchés européens... de cochon! La production industrielle massive des porcs a explosé grâce aux très bas salaires des travailleurs venus de l'est, au prix de la dispersion dans la nature des déchets chargés d'antibiotiques. L'Union européenne a ouvert une procédure pour infraction aux normes environnementales.
Le pouvoir des lobbies. Les tricheries à grande échelle sur la pollution du diesel a ébranlé l'opinion allemande si attachée à ses constructeurs automobiles. Elle a découvert que ces lobbies ont, depuis longtemps, tout obtenu des pouvoirs politiques asservis à leurs intérêts. Le problème est aujourd'hui reconnu à droite comme à gauche mais rien n'est proposé pour casser les liens complices entre ce pan énorme de l'économie et les autorités.
L'avenir de l'euro. Pour plusieurs pays, dont la France, il passe par une gouvernance renforcée et un budget commun. Une plus grande solidarité, une rigueur plus équitablement partagée, une prise en compte imaginative des réalités du sud de l'Europe. Certes Schulz y est favorable, mais Merkel avance sur ce terrain avec une extraordinaire prudence.
Les excédents budgétaires. La dette allemande se réduit, les comptes publics de la République fédérale sont dans le noir. Fort bien, mais cela pose problème : l'écart avec les autres pays de la zone euro se creuse et les tensions politiques montent sur cette question. Ni la gauche ni la droite ne disent clairement comment cette heureuse marge pourrait être utilisée. Par l'investissement? Ce ne serait pas de trop car les infrastructures vieillissent. Par l'éducation? Par la formation continue? Ce serait bienvenu au vu des besoins de demain. L'attachement obsessionnel des Allemands aux bas de laine publics bien remplis prive le pays de visions futuristes ambitieuses.
La dettes de l'histoire. Deux pays, la Grèce et la Pologne, mettent le sujet sur la table. Ils n'ont jamais été dédommagés pour les ravages et les pillages du Troisième Reich. Comme tant d'autres victimes du nazisme. L'heure est-elle venue de régler les comptes du passé ? L'Allemagne n'entre pas en matière. Mais l'argument pèse plus qu'on ne le dit dans les relations politiques intra-européennes.
La Russie. L'Allemagne veut-elle se joindre à la nouvelle guerre froide voulue par les Etats-Unis? Ou promouvoir un nouveau rapport avec la grande voisine? Angela Merkel balance entre les deux options. Mais des intérêts importants sont en jeu. L'Allemagne a besoin de ce grand marché pour ses exportations et ses importations d'énergie. Et par ailleurs elle tient à l'ancrage atlantique bien qu'elle en mesure les limites et les inconvénients. Là aussi, les grands partis restent ambigus.
La Pologne. La violation des règles démocratiques ainsi que les attaques verbales anti-européennes et anti-allemandes de son gouvernement nationaliste posent un problème sérieux à l'UE. Celle-là doit-elle être durcir le ton et prendre des mesures face à Varsovie? Les dirigeants allemands, quels qu'ils soient, mesurent leurs propos. Avec de bonnes raisons: le passé pèse encore lourd. Dommage cependant que le sujet ne soit pas abordé plus franchement.
La France. L'Allemagne est hantée par la crainte d'apparaître comme le leader politique de l'Europe. Elle cherche donc à s'appuyer sur la France. Une priorité historique. Dès lors l'activisme européen du président Macron ne lui déplaît pas. Mais l'inquiète aussi car la revendication d'une plus grande solidarité continentale, d'un plus grand engagement militaire extérieur, en Afrique et au Moyen-Orient notamment, n'est guère populaire. Les partis préfèrent donc rester dans le flou sur le degré de convergence avec Paris.
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Le morne débat Merkel/Schulz et ses non-dits, par Jacques Pilet
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