Actuel / Qui doit créer l'argent?
Un OVNI politique traverse le ciel politique suisse. Affublé d’une appellation bizarre: Monnaie pleine. Cette initiative est soumise au peuple sans l’appui d’aucun parti, contre l’avis du parlement et du gouvernement. Lancée par quelques économistes, ni de droite ni de gauche, désireux d’un changement qui n’a rien de révolutionnaire. Ils demandent à ce que seule la Banque nationale puisse créer de l’argent, matériel ou digital. Notre ami Yves Genier a dit ici que c’est une mauvaise idée. Faut-il pour autant la discréditer? Il se trouve aussi des connaisseurs qui la considèrent avec sympathie ou du moins avec intérêt. Le fait que l’OVNI soit promis à s’écraser au soir du 10 juin ne doit pas interdire la réflexion.
Vous pensez que les crédits accordés par les banques proviennent de l’épargne des clients? Pas du tout. Elles créent la dette à partir d’une donnée fictive et immatérielle… jusqu’à son remboursement. Les économistes le savent. Le risque de krach bancaire, même s’il est un peu amoindri par les mesures prises depuis 2008, reste réel: tous les experts s’accordent sur ce point. Dans ce cas, les fonds confiés aux banques par leurs clients seraient menacés.
L’initiative propose donc que seule la Banque nationale puisse créer de l’argent. Les comptes courants seraient garantis dans leur totalité (aujourd’hui la garantie est limitée à 100'000 francs). Par ailleurs, les clients pourraient librement confier leurs dépôts aux banques afin d’obtenir un rendement. A leurs risques et périls.
L’excellent journaliste économique Marian Stepczynski relève dans la Tribune de Genève que l’idée n’est pas nouvelle. En 1935, l’économiste Irving Fischer y voyait une façon d’éviter un nouveau krach comme celui survenu en 1929.
Qu’il nous permette de le citer:
«Il y aurait ainsi bel et bien deux sortes de banques, ou du moins deux fonctions bancaires clairement séparées, l’une consistant à administrer des comptes courants protégés par définition contre tout risque d’insolvabilité, l’autre poursuivant les activités traditionnelles d’intermédiation bancaire entre épargne et investissement. En ce sens, les détenteurs de comptes bancaires servant au trafic des paiements ne courraient aucun risque, à la différence des épargnants à la recherche de rendement, qui placeraient leurs liquidités dans les divers produits proposés par les banques sur l’échelle des profils de risque et de rendement.»
Il poursuit:
«La question de savoir si le passage à la “monnaie pleine” empêcherait effectivement la survenance de crises bancaires est largement débattue. Pour ses partisans, c’est l’alternance inopinée de création de monnaie (par l’octroi de crédits) et sa destruction (du fait de leur remboursement, ou par suite de vagues de retraits) qui déstabilise l’économie. Réserver cette création à la banque centrale serait donc un gage de solidité et de sécurité. Les adversaires, au contraire, font valoir que la Banque nationale n’est pas équipée pour faire face à une telle tâche, et serait soumise aux pressions de la politique et des lobbies les plus divers. Impossible, en l’absence d’exemples vécus, de trancher définitivement. D’autant qu’il est difficile d’imaginer quels effets collatéraux (sur le taux de change notamment) pourrait avoir l’adoption, par la seule Suisse, d’un régime appliqué nulle part ailleurs.»
L’inquiétude qui rôde
Depuis des mois, le projet est vivement débattu sur les réseaux sociaux. Les grands médias s’y mettent avec retard. Le plus souvent, dans le sillage des autorités et des partis, pour tourner la proposition en ridicule. Ce qui ne sort pas des boutiques politiques traditionnelles est aussitôt balayé. Cependant si ce texte a recueilli les signatures nécessaires au vote, c’est bien parce qu’une inquiétude rôde dans le public. Le système bancaire, aussi efficace puisse-t-il paraître aujourd’hui, reste fragile en raison des immenses dettes consenties.
Mais qui veut voir la réalité en face quand «tout va bien»? Prenons le cas de l’endettement hypothécaire en Suisse. Il atteint 1,5 fois le PIB du pays. Alors que ce type de dette privée ne représente que 46,5% en Allemagne et 41,2% en France. Pourquoi cet emballement? Parce que ces prêts sont accordés, à la différence de nos voisins, sans délai de remboursement, avec des taux d’amortissement très bas. Pratique périlleuse à terme.
L’initiative ne veut pas réduire le crédit. La Banque nationale devrait émettre assez de monnaie pour le bon fonctionnement de l’économie mais en maîtrisant son volume.
Tout cela est certes compliqué. Mais l’enjeu mérite l’attention.
L’initiative n’a aucune chance d’aboutir. Elle a cependant une utilité: nous amener à considérer, sous un autre jour, notre réalité économique. C’est ce qu’espèrent ses partisans.
Précédemment sur le sujet «Monnaie pleine»
La fausse bonne idée, par Yves Genier
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
7 Commentaires
@Lagom 21.04.2018 | 10h05
«Ceux qui veulent de la monnaie pleine n'ont qu'à retiré l'essentiel de leurs avoirs et les mettre dans des coffres ultra-sécurisés. Ainsi ils seront soulagés, d'ailleurs, nous aussi nous le seront. Je sais que votre article est là pour relancer le débat. Mais on craint que certains votants y voit un soutien à cette absurdité. »
@noar12 21.04.2018 | 11h07
«Le système actuel permet aux banques commerciale de se décharger de leurs responsabilité. La crise de 2008 a montré comment ces dernières prêtaient a tout va même aux clients dit subprimes. Ensuite la finance se pointe et trouve un moyen de titrisé ces crédits pourris en se payant même le luxe d'être noté AAA.
Une autre initiative qui limiterait les possibilités de titrisation des crédits et ainsi forcerait les banques a faire le travail d'analyse de solvabilité plutôt que la course a la commission actuelle serait aussi une idée... Bien qu'encore plus extrémiste probablement.
Quelques vidéos intéressantes sur les sujets économiques et aussi de création monétaire.
https://www.youtube.com/channel/UC7sXGI8p8PvKosLWagkK9wQ»
@marenostrum 23.04.2018 | 20h51
«Des Grandes Banques enfin néolibérales ! et avec Monnaie Pleine ! La mesure pourrait être reprise ailleurs, c'est ce qui pourrait arriver de mieux. Le but étant de prémunir le système de paiement, les salaires et les comptes courants de la population contre les aléas et les crises financières. Car elles auront probablement lieu, sur ce, beaucoup de monde est d’accord. Depuis 2012, parallèlement à la « régulation » mise en oeuvre suite à la crise de 2008, à été organisé la légalité des prélèvements par la banque, sur les dépôts de la population, si nécessaire en cas de faillite ! Ceci n’est plus admissible. Comme n’était pas admissible que nos Grandes Banques communiquent et livrent l’identité de leurs employés à la justice américaine ! à la place de leur boss. Responsabilité qui reste encore l’unique raison qui aurait encore pu justifier leurs revenus ! pourquoi leurs faire confiance ?»
@marenostrum 23.04.2018 | 20h52
«Voilà ce que disait le Conseil Fédéral au 19ème siècle … cela reste vrai !
« Il a toujours été reconnu qu’il serait souverainement imprudent de mettre dans les mains d’une oligarchie financière un instrument de crédit tel que celui d’une banque d’émission, de lui en abandonner les ressources et de permettre ainsi que l’intérêt public puisse être asservis et sacrifié à des intérêts privés » … ce qui est le cas de nos jours. En effet, ce n’est pas raisonnable, votons oui à Monnaie-Pleine …de Sagesse !»
@marenostrum 23.04.2018 | 20h59
«Pour un Média Indocile ... il y a dans cet article, une prise risque minimaliste.»
@petitpie 26.04.2018 | 10h16
«« [Les banques] créent la dette à partir d’une donnée fictive et immatérielle… jusqu’à son remboursement. Les économistes le savent. »
Que veut dire « à partir d’une donnée fictive ? » Lorsqu’un client obtient un prêt, la banque lui livre des billets de la BNS pour s’acheter le vélo qu’il convoite ou transfère des fonds (électroniques) au garagiste qui va lui fournir sa voiture. La banque garde un papier pour mémoriser cette transaction et vérifier que le prêt est remboursé. Quant au garagiste, il va retransmettre une partie de ces fonds au fournisseur de la voiture et peut-être retirer le reste au moyen de sa carte de débit pour obtenir des billets de banque. Où est la fiction ?
« Les économistes le savent », figure rhétorique bien connue pour discréditer d’entrée le lecteur qui aurait des velléités de contestation.
Les fonds avancés par la BNS peuvent être prêtés pour des projets hasardeux, autant si ce n’est plus que par une banque responsable de ses fonds. Quelle est alors la différence entre une banque qui a gaspillé de l’argent de la BNS et une banque qui doit être sauvée par la BNS ?
« Elle a cependant une utilité: nous amener à considérer… ». Que peut-on apprendre si ce n’est que ce sujet n’est compris que par quelques spécialistes, et encore. Elle aurait une utilité si les explications étaient claires et à portée d’un plus grand nombre.
»
@gindrat 26.04.2018 | 19h43
«Soutenir l'initiative contribuerait à améliorer le rendement des comptes de petits épargnants. »