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Chronique / Maurras, l’impossible commémoration


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S 'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.



La France ne serait pas tout à fait elle-même si, périodiquement, elle ne s’échauffait pas à propos d’une cause touchant le monde des Lettres: nouvelle orthographe, langage épicène et, depuis quelques semaines, Charles Maurras (1868-1952), le sulfureux publiciste de L’Action française.

On ne le sait pas toujours, mais il existe chez nos voisins un très officiel Haut Comité des commémorations nationales chargé de proposer un certain nombre d’événements à célébrer. Or, parmi ceux retenus pour 2018, figure le 150e anniversaire de Charles Maurras: mêlant «à travers son itinéraire les lettres et la politique (…) cet écrivain reconnu tant en France qu’à l’étranger fut aussi le théoricien politique du nationalisme intégral et un polémiste redouté».

Charles Maurras lors de son procès à Lyon en 1945. © archives AFP

Cette mention de Maurras dans la liste des commémorations nationales n’a pas manqué de susciter des réactions. Notamment de la part des responsables de SOS Racisme ou encore de la LICRA, qui souligne que l’écrivain «est frappé d’indignité nationale. Il a été condamné à la perpétuité pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi». Devant cette levée de boucliers, la porte-parole de Françoise Nyssen a cru bon d’expliquer que «la ministre souhaite qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans sa position et rappelle son rejet total des thèses et de l’engagement de Maurras». Et le ministère de la Culture d’annoncer, le 28 janvier, le rappel du Livre des commémorations nationales et sa réimpression «après retrait de la référence à Maurras».

Un adversaire acharné du parlementarisme

Né à Martigues en 1868, issu du Félibrige, le mouvement de renouveau poétique provençal de Frédéric Mistral, Charles Maurras rallie assez vite le camp des nationalistes de Maurice Barrès. Profondément antisémite, l’affaire Dreyfus le voit se ranger résolument dans les rangs des adversaires du capitaine. Il soutient notamment le colonel Henry, auteur des faux accusant Dreyfus. Et, en 1945 encore, à l’annonce de sa condamnation par la Haute cour, Maurras s’écriera: «C’est la revanche de Dreyfus!».

Mais c’est surtout pour son activisme à la tête du journal L’Action française qui, tirera jusqu’à 150'000 exemplaires au sortir de la Grande Guerre que le publiciste va devenir un acteur incontournable de la scène politique. Son programme, il l’a exposé dans son Enquête sur la monarchie, prônant le retour à «une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée». Durant l’entre-deux-guerres, qui le voit au faîte de son prestige, il n’a pas de mots assez durs pour fustiger le parlementarisme et la gauche. Ainsi de Léon Blum, il écrit en 1935:

«C’est un monstre de la République démocratique (…) C’est un homme à fusiller, mais dans le dos.»

Sa condamnation à huit mois de prison ne l’empêche pas d’être élu à l’Académie.

Si durant la Seconde Guerre mondiale, Maurras apporte son soutien au maréchal Pétain, il ne se rallie pas pour autant à la collaboration. Et sa germanophobie est aussi virulente que sa haine de l’Angleterre. Il n’en rejette pas moins de Gaulle et qualifie les résistants de «terroristes». A la Libération, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, il est incarcéré à Riom, puis à Clairvaux. En mars 1952, à la suite d’une intervention d’Henry Bordeaux auprès de Vincent Auriol, l’écrivain est transféré dans une clinique de Saint-Symphorien-lès-Tours, où il s’éteint quelques mois plus tard.

Convenons-en, dans cette destinée, il n’y a pas grand-chose à sauver. Seule aujourd’hui, une certaine France traditionaliste, celle de la «Manif pour tous», continue de se réclamer de Maurras. En Suisse romande, il fut le maître à penser du fondateur de la Ligue vaudoise, Marcel Regamey. Et, depuis quelque temps, curieusement, l’on retrouve ce qualificatif d’«intégral» accolé à la notion de libéralisme chez certains activistes de l’initiative «No Billag»!


Charles Maurras, L’Avenir de l’Intelligence et autres textes, Robert Laffont «Bouquins» (à paraître en avril)

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@ElPa 31.01.2018 | 12h45

«Merci pour la synthèse!»


@Gorbounova 19.02.2018 | 00h29

«Effectivement très intéressante synthèse, mais une question, tout de même, Maurras fût-il réellement "le maître à penser" de Regamey ? Car si tel est le cas, voilà un élément supplémentaire à ajouter à l'analyse du parcours de Regamey, à moins que ce soit déjà le cas ?

Encore merci de cet éclairage. »