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Média indocile – nouvelle formule

Chronique

Chronique / Soljénitsyne, le récit interrompu


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S 'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.



Pour cette première chronique de l’année, il convient de rendre hommage à un très grand écrivain, dont l’œuvre a tout simplement contribué à changer l’Histoire. Je veux parler bien sûr d’Alexandre Soljénitsyne, Prix Nobel de Littérature, qui aurait 100 ans en 2018. Pour marquer cet anniversaire, me dit Georges Nivat, qui a traduit plusieurs de ses livres, une exposition et un colloque devraient se tenir à Paris, à l’Institut, en novembre prochain.  

J’ai lu très tôt, au tout début des années 1970, Une Journée d’Ivan Denissovitch. Ouvrage publié par la revue Novy Mir, grâce à Khrouchtchev, et qui raconte de façon presque clinique vingt-quatre heures de la vie d’un Zek, un détenu du Goulag. Ensuite, il y eut notamment Le Premier cercle, évocation de la charachka, la prison-laboratoire dans laquelle l’écrivain fut lui-même relégué. Et bien sûr L’Archipel du Goulag. Cet immense gisement d’écriture, pour parler comme Nivat, consacré à l’univers carcéral soviétique. Hommage à tous ceux qui en furent victimes, à la fois panthéon et lieu de mémoire. Sa publication en 1974, qui valut à son auteur son expulsion d’URSS, contribua de manière décisive à l’effondrement du communiste – même si auparavant il y avait eu le rapport du 20e congrès sur les crimes du stalinisme. L’évolution de Soljenitsyne par la suite est plus difficile à comprendre. L’écrivain a décontenancé, sinon déçu, par son culte du passé et une forme de nationalisme slavophile si manifeste dans Comment réaménager notre Russie (1990).  

Avril 1917, tout est déjà joué

Toujours au milieu des années 1970 commence de paraître le roman que Soljénitsyne considérait alors comme «l’œuvre de toute ma vie, et qui fut conçu en 1936 (…) mais bien avant, sans doute planait-il confusément au-dessus de moi depuis ma prime enfance.» La Roue rouge. L’ouvrage devait raconter la Révolution et les circonstances de son déclenchement, depuis 1914 jusqu’au printemps 1922. Et cela en vingt «nœuds». Vingt moments-clés sur lesquels se concentre le roman. Mais bien que travaillant d’arrache-pied, parfois jusqu’à dix-sept heures par jour, Soljénistsyne ne parvint à mener à bien que quatre nœuds – ce qui représente tout de même quelque 6000 pages! Après quoi, l’âge le contraignit à s’arrêter.

Document INA: Soljénitsyne et La Roue rouge, 1983 © DR


On est désormais en mesure de juger l’ensemble avec la parution, il y a quelques semaines, de la traduction du tome 2 du dernier nœud, Avril 17. Le volume porte sur douze jours, du 6 au 18 mai 1917. La vitesse des événements est quasi celle de la lecture elle-même. Alors que le blé n’arrive plus à Petrograd, le gouvernement de Kerenski et du prince Lvov sombre dans l’irrésolution, tandis que les soviets sont de plus en plus déterminés avec le retour de Lénine de son exil zurichois. L’armée se délite; la discipline n’est plus respectée, les officiers plus obéis. Tous réclament la paix. Mais à quel prix? S’interroge le colonel Vorotyntsev, l’un des personnages de fiction de La Roue rouge, rencontré lors des combats d’Août 14 en Prusse-Orientale, désormais rattaché à la Stavka, le QG de l’armée. Il est certainement l’une des figures les plus attachantes du roman et surtout l’une des plus lucides.

Encore que le terme de roman ici ne convienne guère. La part de la fiction s’amenuise, finit pour ainsi dire par se dissoudre dans les événements. Ou à tout le moins changer de nature, l’auteur adoptant tour à tour les points de vue de chaque protagoniste qu’il nous restitue dans autant de dialogues intérieurs. Et de s’appuyer pour ce faire sur toutes sortes de sources, tel le journal de Nicolas II alors relégué à Tsarskoïe Selo.

Cet ultime volume de La Roue rouge, qui laisse le lecteur plus que jamais dans l’incertitude, à l’image des hésitations de l’histoire – mais n’en sommes-nous pas chaque jour témoins? – est encore complété d’un résumé de 120 pages des nœuds non écrits, «Le récit interrompu».


Alexandre Soljénitsyne, Avril 17 La roue rouge quatrième nœud, Tome 2, Fayard, 760 pages

 

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