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Média indocile – nouvelle formule

A vif

A vif / Cachez ces mendiants que je ne saurais voir!


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Après une phase que l’on dira «pédagogique», la Ville de Lausanne fait entrer en vigueur la nouvelle loi cantonale sur la mendicité. Celle-ci ne peut désormais avoir lieu que là où elle ne risque pas de déranger la bonne conscience des «braves gens».



Le Tartuffe de Molière est un faux dévot qui demande hypocritement à sa servante de cacher un sein qu’il «ne saurait voir». Ce n’est pas un sein que le Grand Conseil vaudois et la Municipalité de Lausanne ne veulent pas voir, ce sont les mendiants. Une nouvelle loi cantonale est entrée en vigueur le 1er juillet et la capitale vaudoise, après une phase de «dialogue» avec les «personnes en situation d’effraction», l’applique depuis le 12 août. La mendicité «intrusive, agressive, déloyale ou trompeuse» − qui décide de la définition de ces termes? – est interdite. Egalement celle se déroulant dans «les transports publics et leurs arrêts, les cimetières, les marchés et files d'attente d'établissements qui pratiquent la vente de mets ou de boissons à l'emporter, sur les terrasses et aux entrées des établissements publics, à proximité immédiate des écoles, crèches, places de jeux, banques, bureaux de poste, distributeurs automatiques d'argent, horodateurs, aux entrées des immeubles d'habitation et de bureaux, bâtiments et installations publics, magasins, établissements médicaux et de soins, musées, théâtres et cinémas». Des amendes seront infligées aux contrevenants.

L’interdiction de la mendicité est illégale

Nombreuses sont en Suisse les villes qui, par le passé, avaient interdit la mendicité. Mais en 2021, au grand dam des Autorités de plusieurs cantons et localités, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu illégale son interdiction totale. Depuis, les uns et les autres cherchent comment faire pour lutter contre ce qu’ils appellent un fléau, pour l’escamoter.

Au-delà des questions juridiques, l’interdiction partielle ou totale de la mendicité est instructive sur l’époque. Pourquoi fait-elle peur, pourquoi offusque-t-elle? Plusieurs hypothèses sont possibles. D’abord, les «braves gens» honnissent toujours celles et ceux qui ne vivent pas comme eux. C’est un réflexe conditionné. Les «braves gens» ne sont braves qu’avec les autres «braves gens», ils se méfient de ceux qui ne leur ressemblent pas.

Ensuite, la mendicité expose au grand jour le fait qu’il y a des pauvres dans la cité – qu’ils y soient étrangers ou pas. Si pendant des siècles la bourgeoisie a admis qu’ils avaient le droit de se montrer au grand jour – cela mettait en valeur sa propre réussite – aujourd’hui elle veut qu’ils se cachent. Comme les fous, les marginaux, les vieux, les handicapés, les «pas normaux».

Les pouilleux contredisent la doxa libérale

Pour aller vite, cela tient sans doute au fait que la bourgeoisie veut aujourd’hui croire et faire croire au miracle du ruissellement de l’économie capitaliste. Cette faribole qui prétend que la richesse des uns fini toujours par impacter positivement les autres. Que les miettes du banquet sont tellement abondantes qu’elles comblent même les appétits de celles et ceux qui n’y sont pas invités.  Les mendiants disent le contraire, qu’on les fasse taire. 

En tout cas, il ne faudrait pas que ces miséreux découragent les gens d’acheter des marchandises (on ne les veut pas devant les magasins), qu’ils effraient les enfants en témoignant de la fausseté de ce qu’on leur apprend (qu’ils restent loin des écoles et des places de jeux), que leur présence pouilleuse empêche les «braves gens» de se distraire (interdiction de mendier aux abords des théâtres et des cinémas), etc. La liste des endroits où la mendicité est interdite est la partie la plus instructive de la nouvelle loi: en gros, il est désormais prohibé de mendier là où c’est visible, là où il y a des passants et des passantes enclins à donner quelques piécettes, il est prohibé de mendier là où il est logique et intéressant de le faire.

Comprenez-moi bien, mon point de vue n’est pas moral. Je n’ai pas de règle personnelle concernant les mendiants. Parfois je donne, parfois je ne donne pas. Je ne me sens pas coupable de ne pas donner, pas charitable lorsque je donne.

Egoïstement, je dois vous avouer que les mendiants me rassurent. Comme les fous, les vieux, les handicapés, les marginaux, les pas normaux… Grâce à eux je sais que, malgré la propagande médiatique et marchande, la vie n’est ni lisse, ni aseptisée, ni insipide. Ça vaut bien les quelques francs que je leur donne.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@von 15.08.2025 | 19h13

«Il n'y a pas se conception globale de la mendicité car elle recouvre des cas forts différents.

Il y a, par exemple à Lausanne, des drogués qui mendient. Ils sont jeunes, maigres et ont les yeux vides de ceux qui n'ont rien à perdre. On les sent quelquefois agressifs, capables de faire n'importe-quoi pour se procurer de quoi se payer un shoot. Et c'est vrai qu'il leur arrive d'arracher les sacs des vieilles dames. Ils font plutôt peur.

Il y a d'autres mendiants qu'on sent "professionnels", ils se postent toujours aux mêmes endroits stratégiques. Ce sont souvent des gens bien enveloppés, qui doivent avoir assez à manger eux. ils ne sont pas agressifs, mielleux plutôt. On sent qu'ils ont juste appris quelques mots destinés à susciter le don. Si on leur donne quelque chose, on a l'impression de s'être fait avoir.

Il y a les petites mémés des pays de l'Est, un foulard autour de la tête et à genou par terre dans le froid. Elles semblent âgées mais ce n'est pas toujours le cas. Une organisation doit les déposer là. J'en en vu une fois le faire en voiture.

Un jour, près de St-Eustache à Paris, un jeune était debout avec une pancarte "J'ai faim". Habillé normalement, propre, il m'a fait penser à mon fils et je lui ai donné 20 Euros. Il m'a à peine remercié et là je me me suis dit que je m'étais fait avoir car, moi aussi, à ce moment-là, j'avais faim. Il ne m'avait rien demandé, c'est moi qui m'était fait du cinoche dans ma tête...

Alors en effet, les mendiants dérangent notre petit train-train. On imagine des choses. Ce qui est sûr, c'est qu'ils vivent en marge du système et probablement dans l'illégalité, venus d'ailleurs sans papiers, sinon ils seraient à l'aide sociale, qui ne laisse personne mourir de faim en Suisse. En fait c'est surtout leur nombre qui finit par déranger car on les imagine vite être les petites mains de maffias étrangères, qui recyclent des pauvres dans la mendicité, les vols ou les arnaques.

Se faire voir avoir n'est pas bien grave, tout au plus perd-t-on quelques Francs, c'est de toute manière moins qu'une contrebûche de la maréchaussée... Alors, comme disent ceux du Mississipi "laisse le bon temps rouler". Si ton coeur te dis de donner, fais-le, le monde ne s'en portera que mieux, un bienfait n'est jamais perdu. C'est comme une prière, une onde de bonté qui pars dans l'ether.

"Un clochard noir ne se consolera pas d'apprendre qu'il est un sans domicile fixe issu de la diversité. Lui offrir plutôt un billet avec le sourire" (Sylvain Tesson)
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