Actuel / Défense suisse: quand éclate le besoin de renouveau
Soudain tout se précipite et la Suisse s’interroge enfin ouvertement sur sa politique de défense et sa relation à l’Europe. Ce qui arrive à Berne ces jours n’est pas banal. Rappel d’une escalade, d’un enchaînement d’évènements divers mais révélateurs et reliés entre eux.
20 décembre: Ursula von der Leyen, c’est exceptionnel, débarque sous la Coupole fédérale et pose en compagnie de la conseillère fédérale Amherd, présidente de la Confédération, pour saluer le «bouclage» de l’accord Suisse-UE… pourtant encore imprécis et sous le feu des critiques. L’image passe mal. Le responsable en titre de cette négociation, Ignazio Cassis, n’apparaît pas.
11 janvier: fait rarissime, un parti gouvernemental, l’UDC, du haut de son congrès annuel à Bad Horn (TG), réclame la démission de la ministre de la défense avec une violence inouïe. Elle est accusée de présenter «un danger pour la Suisse».
13 janvier: le commandant de l’armée suisse Thomas Süssli assiste, à Bruxelles, au discours du secrétaire général de l’OTAN, adressé aux dirigeants européens. Mark Rutte, très alarmiste, en appelle à «passer à un état d’esprit de temps de guerre et à donner un coup de fouet à notre production et à nos dépenses en matière de défense». Il va jusqu’à dire: «Si nous le faisons pas, dans quatre ou cinq ans, vous aurez le choix d’apprendre le russe ou de vous exiler en Nouvelle Zélande!»
14 janvier: la Suisse confirme son adhésion au projet «Military Mobility», qui vise à assurer la fluidité des mouvements des armées et des équipements de défense à travers les frontières en Europe. Leur transit sera facilité.
15 janvier: démission-surprise de Mme Viola Amherd qui n’a même pas attendu quelques semaines, histoire de sauver la face, après la violente attaque de l’UDC.
A quand la démission d’Ignazio Cassis?
Ce calendrier précipité met en lumière le malaise croissant autour du cap pris par notre politique étrangère: l’alignement militaire et politique sur l’OTAN, sur les Etats-Unis, sur l’Europe en mode von der Leyen. On ne peut que se féliciter de cette démission d’une conseillère fédérale si celle-ci amorce une clarification, un recentrage sur la position traditionnelle de la Suisse, la neutralité et la recherche de la paix. Mais pour cela, il conviendrait qu’un autre responsable, Ignazio Cassis, fasse aussi place nette. Mentalement aligné sur l’atlantisme, ce ministre se complaît dans les formules floues et contradictoires. Il est l’une des clés de la dérive de notre politique internationale. Au-delà des intrigues politiciennes en cours, l’offre d’emploi devrait de s’adresser à des personnalités fortes, les pieds sur terre, insensibles aux manipulations émotionnelles des lobbies de l’armement et des dirigeants atlantistes. Ceux-ci ont leurs propres intérêts, ce ne sont pas forcément les nôtres.
Revoir le tableau militaire de fond en comble, c’est possible.
Il y a trente ans, le programme Armée 95, conçu par le conseiller fédéral Kaspar Villiger, redéfinissait de façon précise et détaillée les buts et les moyens de la défense à un tournant de l’histoire, après la chute du Mur de Berlin.
Au vu de la nouvelle donne géostratégique, il y a aujourd’hui une urgence comparable. Car en dépit de la valse accélérée des crédits militaires, l’armée suisse est dans la pagaille. Elle engloutit des milliards dans l’achat d’un avion, le FA-35, qui nécessite sans cesse de coûteux ajustements, un bombardier peu adapté à la police du ciel, peu agile dans les étroites vallées. Un engin dépassé et inutile selon Elon Musk, fort avisé et sans tabou. Nos aviateurs se ridiculisent avec les drones israéliens Hermes 900 HFE, commandés il y a dix ans, pas encore opérationnels. Au début on constatait qu’ils ne supportaient pas le froid. On découvre – officiellement! – qu’ils peuvent observer le sol mais ne voient pas les oiseaux et les parapentistes, il faudrait les accompagner par hélico ou avion! On vire là au comique troupier. Face aux missiles dont chacun note le rôle spectaculaire dans les guerres du moment, le dispositif de défense est dans les limbes. Quant à la menace des cyberattaques qui frappent quasiment tous les jours les entreprises publiques et privées, il ne lui est consacré que quelques miettes du budget. Enfin les services de renseignements, apparemment en pleines dissensions et confusion, ont aussi besoin d’un nettoyage de fond énergique. Maints projets, à tous les étages, restent en panne, ou dépassent les crédits votés. Tout doit être revu, repensé. Et au passage, le «général» Süssli remplacé. Entre autres gaffes, il démontre ces jours son manque de flegme en engageant une polémique avec la NZZ qui a osé le taquiner sur un point technique.
Le hic, c’est que cette grosse machine militaire et policière tourne sur elle-même depuis trop longtemps, sur de vieux schémas, égarée par le carriérisme de ses fonctionnaires. Les rouages politiques aujourd’hui mis à l’épreuve se montreront-ils plus visionnaires et agiles?
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@von 18.01.2025 | 13h08
«C'est vrai, la Suisse est en danger. Non pas du point de vue militaire, la guerre n'est pas encore à nos portes, mais du point de vue politique. Lentement mais sûrement certains lobbies nous poussent à sortir de la neutralité, qui est tout de même le fondement de notre politique étrangère. Je dirais même le fondement de l'art de vivre de notre peuple.
Minuscule pays engoncé entre ses montagnes, partageant quatre langues officielles, son exiguïté même l'incite à la modestie. Comment défendre son existence face aux courants qui déchirent le monde si ce n'est en étant sympa avec tous, en évitant de prendre parti, et en offrant des services que seul un pays neutre peut proposer à ceux qui se chipotent.
Et puis, on l'oublie trop souvent, la neutralité est garante de notre propre paix intérieure. Naturellement, nos quatre langues nous rendent proches des pays qui les parlent. Ce qui pourrait nous inciter à nous disputer si l'on prenait parti pour l'un ou ou pour l'autre d'entre eux.
Reste le point principal de la politique de neutralité. L'Humanité est soumise à la "loi de la jungle" depuis la nuit des temps. La violence, le pouvoir, l'argent, en sont les fondements. Avec une Suisse neutre, il existe au moins un pays dans ce monde de brutes à penser à la paix. Et avoir une pensée orientée dans cette direction n'est pas rien, en ces temps où lorsque vous dites "bonjour" à quelqu'un, on vous répond "qu'entendez-vous par la?".
Lorsqu'on se présente comme "suisse" à l'étranger, viennent automatiquement les habituels poncifs "montres", "chocolat", et quelquefois aussi "banques" (hélas), mais aussi "montagnes", "ski", "neutralité", "Croix-Rouge", "paix", C'est tout de même mieux que d'autres pays qui font automatiquement penser à "fake news", "sectes religieuses", "agressivité", "ventes d'armes", "protectionnisme économique", etc.
Notre neutralité nous a-t-elle protégé des guerres précédentes? Oui, sans hésitation! Certes il ne faut pas être naïf, des intérêts ont aussi joué un rôle dans l'équilibre précaire qui était de préserver un tout petit pays qui ne faisait pas le poids au milieu d'une Europe en guerre. Mais il faut être reconnaissant envers ceux qui ont dû naviguer sur cette corde raide et glissante, nous leur devons la vie. Il faudrait être stupide de céder aux sirènes nationalistes qui aimeraient nous mettre dans la même "mouïse" qu'eux...
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