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Média indocile – nouvelle formule

Culture

Culture / Un tableau sociologique qui se déguste avec bonheur


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L’autrice genevoise Marie Beer excelle dans l'art de camper des personnages hauts en couleur et de jouer sur les contrastes. Elle nous le prouve une nouvelle fois dans son roman «Patate chaude», récemment paru aux éditions Encre fraîche, qui raconte avec humour l’adoption contrainte et forcée d’une «Patate» batarde suite au suicide de son maître.



Le narrateur est un garçon qui a, en toutes circonstances, de la peine à trouver sa place: délaissé par sa mère, repoussé par son père, il rêve de s’associer à la vie sociale de son frère, mais s’en abstient pour ne pas l’encombrer, peine à imaginer qu’une fille puisse s’intéresser à lui et se cherche un emploi sans succès ni grande conviction. S’il vouait pour sa part une vive admiration au défunt, il a pleinement conscience que la réciproque ne s’applique pas et se demande si sa présence à l’enterrement ne relève pas de l’imposture.

Par le truchement d’une amie d’enfance qui le manipule en jouant sur la corde des sentiments, le narrateur se trouve amené à accueillir Patate, le chien du défunt, le temps de lui dégoter une famille d’adoption. Et il va se démener tout au long du roman pour refourguer Patate à quelqu’un d’autre, d’où le titre Patate chaude.

Au fil de ses recherches, on découvre ainsi que son entourage est composé d’un père égocentrique et maltraitant, d’une belle-mère dévouée et soumise, d’une mère absente qui a abandonné tout le monde pour faire carrière, d’un frère qui est une réplique atténuée du père avec néanmoins quelques bons côtés et, heureusement, d’une grand-mère attachante dont le langage donne lieu à plusieurs passionnants décryptages sémantiques, tant elle a une façon bien à elle de s’exprimer. Et il y a Diane, cette camarade d’enfance qui a donc connu le narrateur au plus près de lui-même, avant qu’il ne disparaisse sous la couche des rôles qu’on lui attribue avec d’autant plus de facilité qu’il a beaucoup de peine à décevoir les attentes.

Car la question de savoir qui nous définit à travers les rôles qu’on nous fait jouer dans la vie et les étiquettes qu’on nous colle est bien l’un des enjeux majeurs de ce roman. Patate chaude nous invite aussi à réfléchir sur la manière dont l’entourage s’approprie l’image du défunt, en particulier lors d’un suicide. En effet, Kob, dont on apprend le décès dès la première ligne, est issu d’une famille bourgeoise avec laquelle il est en rupture. Les amis qu’il s’est choisi contrastent avec le milieu dont il est issu, ce qui va donner lieu à des scènes truculentes, notamment lors de l’enterrement, quand le frère du narrateur et meilleur ami du défunt exprime publiquement sa colère, au mépris des conventions et usages qui prévalent dans ce genre de circonstances. Ou, plus délicieux encore, quand un notaire se trouve contraint de jouer les médiateurs entre le père de Kob et deux marginaux. Une savoureuse collision entre deux classes sociales qui n’auraient en principe jamais été amenées à se rencontrer.


«Patate chaude», Marie Beer, Editions Encre fraîche, 172 pages.

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