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Culture / Le cinéma italien à l'heure du révisionnisme féministe


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Il y a quelques mois, «Il reste encore demain» de Paola Cortellesi cassait la baraque du box office italien et même helvétique. Aujourd'hui débarque «Gloria!» de Margherita Vicario, sélectionné en compétition à la dernière Berlinale. Et malgré les meilleures intentions de ces cinéastes soucieuses de revister le passé du point de vue des femmes, un malaise s'installe. Ne sont-elles pas en train de le réécrire par le petit bout de la lorgnette?



C'est ce qu'on appelle un tir groupé et pourtant rares sont ceux qui l'auront remarqué, du fait d'une exposition très inégale de ces films. Du très populaire Il reste encore demain (C'è ancora domani) de Paola Cortellesi au très confidentiel Primadonna de Marta Savina en passant par Gloria! de Margherita Vicario et La bella estate de Laura Luchetti, tous sortis en salle ce printemps, une série de points communs interroge. Il s'agit en effet d'autant de «films d'époque» italiens tournés par des femmes, avec un propos ouvertement féministe. En principe, on aurait voulu applaudir. Et puis non, chacun à son tour et à sa manière s'est avéré décevant. On a vu des intentions, du volontarisme ou du suivisme, mais pas assez de cinéma. Et surtout une tentation à réécrire l'histoire qui commence à devenir problématique.

En pleine mue, le cinéma italien actuel fait la part belle au documentaire et à un «néo-néoralisme» peu coûteux qui s'en inspire. L'autre tendance lourde, ce sont les premiers films de femmes, lesquelles voient apparemment leurs projets privilégiés par les décideurs. Et ce n'est que justice, tant il est vrai que les grandes devancières ont été aussi rares ici qu'ailleurs (Lina Wertmüller, Liliana Cavani, Giovanna Gagliardo, Cristina Comencini, Francesca Comencini et Francesca Archibugi, principalement, parmi quantité de carrières avortées). Enfin, qu'après des sujets contemporains, ces réalisatrices s'attaquent elles aussi à ce passé plus présent qu'ailleurs au pays de Rossellini, Visconti et des frères Taviani est aussi a priori une bonne nouvelle. Sauf qu'avec de tels exemples, on ne peut plus faire n'importe quoi.

Entre pastiche et académisme

Pour sa première réalisation, l'actrice Paola Cortellesi semble en avoir été bien consciente en décidant de s'inscrire dans la lignée esthétique du premier néoréalisme: pour cette histoire d'une femme du peuple battue qui, à Rome en 1946, relève la tête, elle en propose donc un pastiche au noir et blanc et format resserré de rigueur. Par contre, son film hésite trop entre le drame et la comédie, la révérence stricte et l'émancipation maladroite (diverses touches modernistes anachroniques) pour vraiment convaincre. Un public peu exigeant a pu s'en satisfaire, mais pour un regard plus aguerri, clichés et caricatures, idées de mise en scène tapageuses et coup de force scénaristique fnal – surprise, l'héroïne s'en va soudain participer aux premières votations ouvertes aux femmes! – ne font pas un futur classique. Juste un succès de circonstance, dans la droite lignée de notre propre Ordre divin (Petra Volpe, 2017), qui a bien senti d'où venait le vent pour rappeler un important moment historique.

Dans La bella estate, son troisième long-métrage, Laura Luchetti s'attaquait quant à elle à une nouvelle classique de Cesare Pavese, un peu mystérieusement restée non filmée jusqu'ici. Le récit d'apprentissage d'une jeune couturière à Turin dans les années trente, tôt étouffé par le déterminisme social, lui a inspiré un film délicat, centré sur l'intime, à la joliesse académique. Mais le final de Pavese lui aura paru trop daté et c'est ainsi qu'on aura ici la surprise d'assister à l'éclosion d'un amour lesbien avec l'amie délurée qui avait entraîné l'héroïne vers la vie de bohème auprès de jeunes peintres. Un happy end peu crédible (l'amie a attrapé une maladie vénérienne), aux sons anachroniques d'une chanson de Sophie Hunger. Ici aussi, on peut comprendre le désir de la cinéaste, mais l'infidélité à Pavese pose problème, qui lègue une fausse image tant de l'original que de la société faciste de l'époque. A l'évidence, l'amertume sans concession et le réalisme peu académique d'un Mauro Bolognini (La viaccia, Senilità) auraient mieux convenu.

De la mollesse au délire

Avec Primadonna, premier long-métrage de Marta Savina, c'est encore autre chose. Après avoir réalisé un court-métrage documentaire sur ce même sujet, cette cinéaste a voulu raconter toute l'histoire de Franca Viola, la première femme sicilienne à avoir obtenu justice devant un tribunal contre son violeur qui voulait la forcer à l'épouser, selon une veille tradition locale machiste. Mais malgré sa connaissance approfondie de l'affaire, elle ne signe qu'un film très plat, aux personnages peu fouillés et à la dramaturgie anémique. Ici aussi apparaissent des figures plus modernes que de raison pour le mitan des années 1960 – un avocat homosexuel et son amie prostituée – ne serait-ce que par leur dégaine, sans parler d'une musique de style électro particulièrement inappropriée. Est-ce par féminisme ou par ignorance que Savina fait ainsi abstraction de tous les grands films siciliens de l'époque signés par Pietro Germi, Alberto Lattuada, Francesco Rosi ou encore Damiano Damiani (La moglie più bella, 1970, sur la même affaire), autrement frappants tant esthétiquement que politiquement?

Mais le pompon, c'est encore ce Gloria! de Margherita Vicario, inexplicablement hissé en compétition au dernier Festival de Berlin. La pop star et actrice de 35 ans, fille et petite-fille de cinéastes qui a réussi à s'émanciper artistiquement, se rêve à présent en Sofia Coppola transalpine (ses clips de chanteuse sont d'ailleurs signés par un certain Francesco Coppola). Pour sa première réalisation, elle a imaginé une histoire qui se déroule en 1800 dans un institut musical pour jeunes filles quelque part en Vénétie. En vue d'une visite papale, le prêtre/directeur/instructeur/abuseur se voit commanditer une œuvre originale de circonstance et l'institut reçoit un pianoforte d'abord remisé à la cave. Entraînées par une mystérieuse pupille muette, quelques filles s'y retrouvent la nuit pour inventer une nouvelle sorte de musique jazzy. Le tout culminera bien sûr par un renversement d'un ordre patriarcal et baroqueux hypocrite dans une explosion de sororité débridée.

Un passé qui ne passe plus

Même correctement réalisé (quoique sans grande inspiration formelle), tout ceci est strictement n'importe quoi. Le grand méchant de l'affaire est incarné par un comique ridicule (Paolo Rossi), la crédibilité de l'action tombe vite à zéro et l'anachronisme, surtout musical, est complet. Il ne manquera sans doute pas de féministes pour applaudir cet «hommage à toutes les grandes musiciennes empêchées d'autrefois». Il n'empêche, les meilleures intentions ne font pas encore les bons films. Et dans un cinéma national qui a toujours su prendre le passé au sérieux, même dans ses comédies et même si c'était pour le réinterpréter, cette nouvelle approche «décomplexée» fait particulièrement mal.

Certes, qui a connu autre chose a toujours tendance à déplorer sa disparition. Mais qui se souvient encore de quoi a été capable le grand cinéma italien, de l'après-guerre aux années 1980, ne peut qu'être abasourdi par la médiocrité dans laquelle il a pu retomber. On espère bien sûr que toutes ces cinéastes encore débutantes iront en s'améliorant, mais peut-on vraiment y croire? Le vrai génie, tel celui d'une Alice Rohrwacher (Corpo celeste, Le meraviglie, Lazzaro felice, La chimera) se repère tôt et n'a que faire d'un révisionnisme à la mode. Si un jour cette dernière devait se tourner franchement vers le passé, ce serait sûrement selon sa poétique propre, à l'image d'un Fellini, d'un Pasolini ou d'un Bellocchio. Quant à un cinéma plus strictement historique qui baisse à ce point la garde, même s'il se croit encore de gauche, il fait insidieusement le lit d'une Giorgia Meloni. La nouvelle grande révisionniste en chef, sûrement féministe à sa manière elle aussi.

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