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Science


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Femelles se reproduisant sans mâle, crapauds obsédés sexuels, girafes gays, mouettes bisexuelles, oiseaux draguant en offrant des fleurs, bonobos exhibitionnistes… L’excellent livre «Bêtes de sexe, la diversité amoureuse des humains et des autres animaux» de Marc Giraud et Annabelle Pongratz, qui vient de paraître aux Editions Delachaux et Niestlé, est un formidable voyage au cœur de la sexualité des animaux – dont nous, Homos sapiens.



La sexualité est la plupart du temps traitée selon des points de vue moraux, binaires même. Il y a ce qui est bien et ce qui est mal. Ce qui est mâle et ce qui est femelle. Ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Ce qui est obscène et ce qui est érotique. Ce qui fait jouir et ce qui fait fuir. Soit on copule comme des bêtes, soit on fait l’amour comme des humains. C’est très réducteur. Cela vient peut-être du fait que, depuis fort longtemps, Homo sapiens se pense supérieur aux autres animaux dont il doit absolument se différencier. Sinon, il se sent dévalorisé. Ça nous coupe de beaucoup de choses, nous oblige à tout surinterpréter, notamment la sexualité.

Le homard qui séduit en faisant pipi par les yeux

Or, lorsqu’on l’aborde d’un autre point de vue, plus factuel, on s’aperçoit que la sexualité est tout à la fois banalement fonctionnelle et merveilleusement multiple. Banalement fonctionnelle car elle est «ce qui prolonge l’espèce et la rend pérenne», merveilleusement multiple car elle prend des formes d’une grande variété, bien au-delà de la position du missionnaire ou de la levrette. Bêtes de sexe, du naturaliste et spécialiste en zoologie Marc Giraud et de la psychologue et sexologue Annabelle Pongratz, est un formidable voyage au cœur de la sexualité des animaux – dont nous, Homos sapiens. Il nous fait découvrir «les femelles qui se reproduisent sans mâle, les crapauds obsédés sexuels, les mouettes bisexuelles, les girafes gays, les mouflons asexuels, l’oiseau qui drague en offrant des fleurs, le homard qui séduit en faisant pipi par les yeux, la ceinture de chasteté du hérisson, le mâle qui a des règles, celui qui vit dans sa partenaire, les exhibitions des bonobos…» et aussi la «fantastique variété des mœurs de notre propre espèce». N'en déplaise aux puritains et aux puritaines de toutes sortes, ainsi qu’à celles et ceux qui pensent savoir ce qui est juste et ce qui est faux (il y en a autant chez les phallocrates que chez les wokes), la sexualité d’Homo sapiens est en effet elle aussi «d’une sacrée liberté inventive.»

Pour (bien) commencer, les auteurs nous informent que la sexualité aurait débuté il y a 1,5 milliard d’années, avec les eucaryotes. «La reproduction sexuée met en jeu deux êtres différents pour en créer un ou plusieurs nouveaux: c’est le contraire de la division binaires qui produit deux êtres semblables à partir d’un seul.»  Cette phrase mérite d’être méditée, surtout par les parents qui font tout pour que leurs enfants soient une copie d’eux-mêmes.

Les modalités de la reproduction sexuée

Il y a, en gros, six modalités pour la reproduction sexuée. 1- Dans l’eau, les gamètes sexuelles mâles et femelles se rejoignent par attraction chimique; c’est la reproduction de la plupart des poissons. 2- L’attraction chimique des spermatozoïdes vers les ovules a lieu alors qu’ils sont dans les tissus de la femelle; c’est ce qui se passe chez les punaises de lit ou les sangsues. 3- Les mâles sont attirés par le frai (des œufs) au moment de son émission et eux-mêmes émettent alors leur laitance; c’est ce que font certains poissons et des batraciens. 4- La fécondation interne s’opère par l’intermédiaire d’un spermatophore (une sorte de capsule) fixé sur le sol; c’est le cas chez des acariens. 5- La fécondation interne s’opère avec un spermatophore, cette fois inséré dans les parties génitales de la femelle; c’est la manière de procéder des araignées et de plusieurs insectes – et celle d'Homo sapiens lorsqu’il pratique l’insémination artificielle. 6- La fécondation interne par le mâle est réalisée pendant l’accouplement, qui peut avoir lieu avec ou sans pénétration. Avec pénétration, c’est par exemple ce que nous faisons, et sans pénétration, c’est la pratique de la plupart des oiseaux, dont les poules, qui mettent en contact leurs cloaques dans une sorte de baiser – le cloaque est l’ouverture par laquelle sortent les excréments et les œufs.

Stratégies de séduction

Dans la nature, avant de copuler il faut très souvent commencer par séduire. Et malgré l’esthétisme de certaines parades nuptiales, cela a plus à voir avec la sélection sexuelle – trouver le partenaire dont les gènes vont permettre à l’espèce de survire en s’adaptant le mieux possible à l’environnement – qu’avec ce qu’Homo sapiens appelle «l’amour». C’est ainsi qu’un des chapitres de Bêtes de sexe s’intitule Mille manières de draguer. Ça passe par l’odeur, par l'urine (par exemple chez le homard qui fait pipi par les yeux), par le chant, par les couleurs, par des cadeaux, par des ruses… Ce chapitre est une grande source d’inspiration pour qui veut renouveler ses stratégies de séduction.

Vagins labyrinthiques et pénis osseux

Dans le chapitre Quels organes!, on apprend qu’il existe des vagins labyrinthiques – chez les marsupiaux, que les animaux ont des clitoris, que les pénis ont toutes sortes de formes et de tailles, et même parfois des os. Dans Passage à l’acte, on découvre que la lionne est en chaleur chaque mois pendant trois à quatre jours et qu’elle demande alors à s’accoupler chaque quart d’heure (mais ça ne dure que vingt secondes), que les escargots s’étreignent pendant une dizaine d’heures, que chez des insectes le mâle reste très longtemps (jusqu’à 72 jours!) dans la femelle après avoir éjaculé. On découvre aussi qu’il existe toutes sortes d’acrobaties sexuelles, que les animaux pratiquent la fellation et le cunnilingus, également la sodomie et la masturbation.

Il est bien sûr aussi question dans le livre du cerveau comme «premier organe sexuel», notamment parce qu’il produit des hormones déclenchant le désir et le plaisir. Ainsi, il n’y a pas que l’animal Homo sapiens qui connaît l’orgasme sexuel. Détails amusants, la truite peut simuler l’orgasme pour accélérer une copulation qui ne lui plaît pas plus que ça. Ça vous rappelle quelque chose?

Chez les hippocampes, c’est la femelle qui pénètre le mâle

Le chapitre Il y en a pour tous les genres ne peut que déplaire aux puritains et aux puritaines, car «la nature n’a que faire de nos principes moralisateurs.» Chez les hippocampes, c’est la femelle qui pénètre le mâle (avec un tube de ponte), lequel féconde les œufs dans son ventre et les porte jusqu’à la mise bas. On répertorie aujourd’hui plus de 1'000 espèces animales chez qui ont été observés des comportement homosexuels et bisexuels, tant chez les mâles que chez les femelles. L’homoparentalité n’existe pas que chez Homo sapiens: des couples homosexuels de mouettes adoptent souvent un œuf délaissé pour ensuite élever l’oisillon; et il existe même des «trios parentaux bisexuels» chez de nombreuses espèces.

«Dès le début de ce livre, nous avons vu que nous, humains, avons de l’animal en nous: normal, nous sommes des animaux!, concluent les auteurs. De leur côté, les autres animaux montrent de l’humain en eux: normal, nous sommes de même nature!»   

Chacun et chacune fera ce que bon lui semble de ce livre mais ce qui est certain, c’est qu’en matière de sexualité il y a de tout dans la nature et que les normes établies par Homo sapiens ne sont que des constructions morales. «La diversité est une des clés majeures du succès de l’évolution, et la diversité sexuelle en fait partie.»


«Bêtes de sexe, la diversité amoureuse des humains et des autres animaux», Marc Giraud et Annabelle Pongratz, Editions Delachaux et Niestlé, 192 pages.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Laurentvallotton 19.01.2024 | 12h14

«« « Que » des constructions morales? » Voilà qui va raisonner dans l’esprit de ceux qui pensent par exemple, et à raison, que certains politiques n’ont pas de morale.
Et c’est bien naïf de penser que les « constructions morales » n’ont aucune origine biologique.
Il n’y a aucune pertinence à s’inspirer de ce qui se passe prétendument dans le vivant pour justifier nos propres comportements. On l’a assez reproché aux Nazis. »