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Culture


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L’amour, encore l’amour, cela déborde des rayons de livres. Très bien. L’amitié? C’est plus rare. Et on s’en méfie... Ne serait-ce pas un peu doucereux? Mais voilà que débarque un auteur qui ébouriffe les habitudes, les idées reçues, qui ne cherche pas à briller mais à dire vrai, en vrac, droit au but. Il en ressort un ouvrage, un témoignage émouvants: «Mon ami Pierre».



Il faut dire que l’oiseau est peu commun. Jon Ferguson, né en Californie chez les Mormons, devenu suisse, champion de basket, enseigne au gymnase de Lausanne et a publié une vingtaine de bouquins en anglais et en français, trouvé le temps aussi d’écrire quelques savoureuses chroniques dans 24 Heures. Ce sportif a du souffle, du talent, et aussi un culot peu ordinaire. Il ose même avoir sa propre opinion sur la guerre en Ukraine, c’est dire! Et là, il se lance, sans trop se demander comment et pourquoi, dans le récit de son amitié pour Pierre. Le voisin qu’il voit de temps à autre, ou alors très souvent, le pote avec qui il parle de leur goût commun pour les femmes, diablement important. Le complice qui traduit d’anglais en français le gros travail de Jon sur Nietzsche, cité à tout bout de champ, perpétuel aiguillon de la réflexion. Enfin, Pierre, l’ami que la maladie démolit au fil du temps: la sclérose en plaques.

Tout ce qu’il faut donc pour tomber dans le pathos, dans les bons sentiments pour gentils magazines. Or cette centaine de pages, c’est tout le contraire! Elles sont plutôt provocantes. Pas du tout dans l’air du temps. Le wokisme et le bellicisme, c’est la soupe que déteste Ferguson. Comme l’ami Pierre. La religiosité, la guimauve, ce n’est pas son truc non plus. Quand on s’est extrait du moule des Mormons, on se retrouve avec la liberté de penser chevillée au corps.

Le corps? L’athlète en parle fort bien, pas comme sur le terrain, plus fort encore: dans le registre de l’extrême délicatesse. Il décrit la caresse de l’infirmière sur le bras immobile, il pose la sienne sur la peau de l’ami, pas aussi insensible, peut-être pas aussi inconscient qu’il y paraît. Le toucher parle. Et soudain, parfois, jusque dans les pires moments, un regard lui répond, un sourire s’esquisse, à peine perceptible sur le visage de cet homme. Que les ignorants, les pressés, les indifférents qualifieraient de mort-vivant.

Dès lors ce récit, désordonné comme peut l’être la vie, cohérent dans le souffle, rend plutôt l’humeur légère. Il finit d’ailleurs sur une pirouette délicieuse. Au bout de la découverte, si vous ne le connaissez pas, d’un auteur qui mériterait davantage de notoriété. Le rivage lémanique, entre Nyon, Morges et Lausanne, et le paysage romand ont de la chance de voir courir un tel trotteur littéraire.


«Mon ami Pierre», Jon Ferguson, Editions Favre, 98 pages.

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