Chronique / Nel Labirinto
S’ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.
Il est assurément le plus grand éditeur italien du XXe siècle. Et sa revue d’art, l’une des plus belles jamais publiées, a ravi durant près de vingt ans les plus exigeants des amateurs du monde entier. Fellini en parlait comme de la «perle noire de l'édition italienne.» Cette revue, c’est FMR, pour Franco Maria Ricci. Mais elle n’est qu’une des aventures éditoriales de cet aristocrate né à Parme en 1937.
Son premier coup de génie est la réédition, en 1972, de l’Encyclopédie de D’Alembert et Diderot, pour laquelle il va jusqu’à faire fabriquer un papier spécial. L’ouvrage aussitôt s’arrache. «C’est là que j’ai compris, dira Ricci, qu’il est plus facile de vendre des ouvrages chers que bon marché!»
Suit une série de livres sublimes signés Roland Barthes, Umberto Ecco, Jorge Luis Borges. Avec toujours ce même look qui les fait reconnaître entre mille. Des couvertures noires comme des écrins, mais, surtout, la même et unique typographie en caractères bodoni. L’une des plus belles polices existantes. Giambattista Bodoni (1740-1813), raconte volontiers Ricci qui en possède tous les ouvrages et a réédité son Manuel typographique, est le seul Italien, tant il l’admirait, que Bonaparte souhaita rencontrer après sa victoire à Marengo! Mais l’éditeur de FMR, à côté d’ouvrages destinés à un publique aisé, a aussi lancé des livres au format de poche, la fameuse «Bibliothèque de Babel», dirigée par Borges.
Si aujourd’hui Franco Maria Ricci a cédé sa maison d’édition, non sans songer à relancer sa revue, c’est pour s’occuper de son ultime chef d’œuvre: le Labirinto della Masone, près de Parme. Un gigantesque labyrinthe planté de bambous, l’un des plus vastes au monde, entourant les bâtiments de la fondation qui abrite ses collections. C’est là que j’ai rencontré Franco Maria Ricci.
Avec Franco Maria Ricci.
Le labyrinthe emprunte son plan à ceux des villes idéales. Alors que les bâtiments et leurs cours rythmées de colonnes, avec au centre une pyramide, s’inspirent, toujours dans ce même esprit des Lumières, des Lequeu, Boullée, Ledoux. «Je crois être, par nature et de par ma structure mentale, un néo-classique, explique Ricci. Le passé nous a transmis un répertoire de formes, dont certaines parfaites ne doivent pas être modifiées.» Comment ne pas lui donner raison?
Un univers régi par les seules lois de la beauté
Inauguré il y a maintenant deux ans, ouvert au public, l’ensemble, il faut en convenir, est tout à fait extraordinaire. A l’image du travail d’éditeur de Franco Maria Ricci auparavant. De même les œuvres qu’abrite la fondation, découvertes en sa compagnie et qu’il commente pour moi dans un français parfait. Voici l’ensemble des ouvrages publiés par Ricci exposés sur les rayons des fameuses bibliothèques noires de ses boutiques ouvertes naguère à Rome, Milan, Paris. Voici plusieurs peintures d’artistes parmesans, voici une série de Vanitas, un Philippe de Champaigne, l’ultime sculpture du Bernin ou encore une série de bustes de l’école de Canova.
On ressort ébloui d’avoir été convié dans un univers si parfaitement idéal, régi par les seules lois de la beauté. Ah, j’oubliais, dans la première salle, où sont présentés les travaux de graphiste de Franco Maria Ricci, trône, exposé comme une œuvre d’art, son premier coupé automobile. Une magnifique Jaguar type E noire. «La plus belle voiture du monde», me souffle-t-il encore.
La suprême élégance, vous disais-je!
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