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Actuel / Un aller (pas) simple pour New York

David Glaser

22 septembre 2017

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Par un jour d'été new-yorkais humide et étouffant, nous nous sommes rencontrés Juan* et moi dans cette maison qu'il partage avec sa partenaire depuis 16 ans. Une oasis de bois située à une heure et demi de route de New York City sur Long Island, dans une rue calme qui cache de magnifiques maisons construites par les premiers colons britanniques. Je me suis assis avec Juan, heureux de quitter l'air lourd et chaud de l'extérieur et désireux d'entendre son histoire, car c'est l'une de ces nombreuses histoires inconnues, et pourtant si américaines. BON POUR LA TÊTE VOUS OFFRE CE GRAND ENTRETIEN EN LIBRE ACCÈS



Selon le recensement, les Latinos représentent 54 millions ou 17% de la population américaine en 2015, bien que les travailleurs sans papiers puissent être estimés à 11 millions (un chiffre en déclin). Les «non-documentés» comme la formule administrative le dit – pour ne pas dire immigrés illégaux – représentent 3,4% de la population des États-Unis alors qu'ils formaient 4% en 2007. En 2016, les Mexicains composaient la moitié de tous les immigrants non-autorisés, 5,6 millions contre 6,4 millions en 2009.

Si l'immigration illégale est en grande partie constituée de personnes d'Amérique centrale et de Mexicains, des représentants politiques se sont exprimés récemment contre les Mexicains, comme en témoigne l'appel du Président Trump pour se débarrasser des «violeurs et criminels qu'ils nous envoient» et l'obsession de la même personne de construire un mur entre les deux pays d'Amérique du Nord.

Comme un saut d'une falaise dans la mer

L'histoire de Juan ne commence pas par une fuite d'une quelconque pauvreté mais par une curiosité, vous savez ce sentiment passionnant que de nombreux adolescents ressentent lorsqu'ils réalisent qu'il y a un monde plus grand que celui dans lequel ils vivent et qu'il faut le découvrir.

Juan est un parfait hôte. Il fait tout pour vous mettre à l'aise, café et spécialités mexicaines à volonté sur le plan de travail de la cuisine à l'américaine qu'il a aménagé de ses propres mains... Il pose de nombreuses questions à mon sujet, car il s'intéresse à tout. La conversation qui suivra est à la fois profonde et difficile. Comme lors d'un saut d'une falaise dans la mer. Aussi, je lui tiens virtuellement la main pour qu'il se lance.

Nous parlons donc et plutôt rapidement tant les faits saillants d'une vie d'immigration non calculée sont nombreux. Je me trouve en train de me demander pourquoi et comment Juan peut il être autant déterminé. Nous regardons ses photos car Juan est photographe, étudiant à la célèbre FIT, la Fashion Institute of Technology, assistant d'un Professeur à la non moins réputée ICP, l'International Center of Photography, à New York.

Ses images sont le produit de cet œil formé pour sentir l'invisible. Elles implorent l'histoire pour savoir comment tout s'est passé pour finir de la sorte... Mal, ou pas si mal finalement pour quelques «gueules cassées», quelques «bad hombres» de Long Island que la vie a laissé en vie de justesse, malgré quelques coups indélébiles.

Animosité croissante envers les Hispaniques

Nous commençons maintenant l'entretien d'une heure dans le salon de cette maison, ce havre, cette forteresse. Juan y passe une grande partie de son temps maintenant. Nombreux sont les sans-papiers qui font de même, terrés dans leur cage en redoutant le pire. Les incursions de plus en plus fréquentes et méthodiques des agents de l'immigration (les «bien» nommés agents de la ICE, ICE pour Immigration and Customs Enforcement) et l'animosité croissante envers les Hispaniques ont conduit beaucoup de familles à se barricader à l'intérieur et à rester loin des rues dans lesquelles des policiers locaux peuvent, eux aussi, sévir rien que pour un visage qui ne leur revient pas.

Les crimes, sans plainte, par crainte des représailles et de la reconduite au pays d'origine. Et même des droits fondamentaux comme la santé ou l'éducation passent le plus souvent maintenant à la trappe en raison de cette peur d'être capturé par ICE. Depuis l'arrivée de Trump au pouvoir, le racisme s'est accru, le ressentiment contre les minorités, en particulier les communautés d'immigrants, a augmenté lui aussi sans que des statistiques précises vérifient officiellement ces présupposés... toujours cette peur du gendarme.

Une bombe à retardement

Pour beaucoup, c'est simplement une question de temps. Le «si ça arrivait?» s'est transformé en «quand ça arrivera». Les organisations ont publié des notes informatives pour les sans-papiers, en leur expliquant leurs droits et ce qu'il fallait faire dans certaines situations telles qu'une visite d'ICE à domicile. Mais le stress généré par tout ça est comme une bombe à retardement. Le Président Trump continue sa croisade anti-immigrés en confiant le dossier des Dreamers, ces enfants sans-papiers arrivés aux Etats-Unis parfois très jeunes, au Congrès. Le but? Voter l'éradication de leur statut «protégé», le célèbre DACA, un programme «Deferred Action for Childhood Arrivals» mis en place par Obama et que le Congrès, à la manière de l'assurance maladie obligatoire doit stopper et remplacer par un alternative moins généreuse.

Pour l'instant, Juan a l'intention de poursuivre son travail, en documentant les sans-papiers. En continuant d'observer l'invisible de son quotidien avec ses «bad hombres», avec un très gros cœur en lieu et place d'un permis de séjour légal. 


Chapitre 1

De Neza à Tijuana



Je m'appelle Juan et je viens de Mexico City. Je suis étudiant et je travaille en même temps. J'habite à New York. Avant, j'habitais au Mexique, à Nezahualcoyotl (l'un des plus grands bidonvilles du monde, ndlr), Neza pour faire plus simple. C'est un quartier assez pauvre de Mexico City. Mon enfance était heureuse, j'ai sept frères et quatre sœurs. On s'entendait très bien. J'étais le plus jeune de la famille. Ma mère est décédée lorsque j'étais encore très jeune. En grandissant c'est surtout mes sœurs qui se sont occupées de moi. Comme c'était une vie difficile, ma mère a dû aller à Tijuana pour gagner de l'argent. Mon père restait avec nous pour s'occuper de nous. Ma mère est restée là-bas pendant cinq ans et a finalement eu assez d'argent pour pouvoir revenir avec nous. On a ensuite déménagé a Tijuana pour trois ans, et j'ai habité dans différentes villes après ça.


Que pensiez-vous des États-Unis à cette époque?

J'ai toujours vu les États-Unis comme un endroit sympa. Quand vous vivez au Mexique, vous êtes bombardé de tous ces films. L'image que les Mexicains ont des États-Unis est celle d'un pays où on fait facilement de l'argent, où l'on vit bien... Je n'ai jamais rien entendu à propos du «Rêve américain» avant de venir aux États-Unis


Quels étaient vos centres d'intérêt en tant que jeune Mexicain?

J'ai toujours su que j’étais attiré par l'art. Je me souviens que quand j'habitais Tijuana, j'avais ce carnet à dessins avec moi. J'y croquais essentiellement des choses liées au basket-ball car j'adorais ce sport. J'y dessinais des logos et mon nom de famille dans différents styles et polices de caractères, je les coloriais. Mais je n'ai jamais pensé que j'allais m'investir dans les arts jusqu'à ce que j'arrive aux États-Unis.

J'ai toujours été attiré par l'art. C'est pourquoi, je reçois l'aide de pas mal de gens. Ils m'encouragent dans mes efforts car ils me voient faire. Ici, je pense que les Américains ont tendance à facilement vous mettre dans une boîte. Vous ne pouvez pas être un artiste et être dans le domaine des chantiers de construction en même temps. Mes parents m'ont toujours dit que je devais être capable de faire plusieurs choses et de ne pas me limiter à une seule activité.  


Quand avez-vous pensé à quitter le Mexique pour les États-Unis?

En fait, je n'ai jamais eu besoin de venir ici. Je me souviens que je jouais au foot un jour. Je m'étais assis sur le bas-côté de la route avec mes amis après la partie. J'étais un jeune garçon, je devais avoir 17 ans et nous rêvions d'autres endroits à voir, de voyager. Quand vous grandissez à Mexico City, c'est quasiment la même chose que de grandir à New York. C'est très varié culturellement, il y a tellement de choses qui se passent dans la ville. Tu veux toujours en découvrir plus. Mon ami m'a dit «tu sais que j'ai un cousin aux États-Unis, pourquoi tu ne viendrais pas avec moi là-bas?». J'ai dit oui, à cette époque, cela sonnait comme une idée excitante. Je voulais aller dans d'autres pays, découvrir le monde. Cela aurait pu être la France, l'Espagne, l’Égypte pour ce que j'en sais. Cela n'avait rien à voir avec les endroits, il s'agissait de voyager et d'apprendre un peu plus.

 

Comment cette idée de partir pour New York s'est-elle concrétisée?

Quand mon ami m'a dit «New York», je lui ai demandé où à New York. Tout ce que je connaissais de New York provenait des films. Tous les films dont je me rappelais, ils se passaient à New York, avec toutes les grosses tours, les taxis jaunes et le reste. Je me suis dit «oui bien sûr». A cette époque, je ne savais pas pourquoi je le faisais.

Ce n'était pas la poursuite du rêve américain, je n'avais d'ailleurs jamais entendu parler du rêve américain avant d'arriver aux États-Unis Quand j'ai décidé de venir, je pensais vivre à Manhattan. Pour moi, j'y serais alors au milieu de l'action. C'était assez choquant quand je suis arrivé à New York, Long Island. Je suis arrivé dans un endroit nommé Farmingville, une toute petite bourgade. Il n'y avait rien du tout là-bas. Rien ne s'y passait, c'était assez frappant et déprimant. En plus de ça, j'ai dû faire face à tout ce racisme. Cela m'a clairement fait douter sur la décision que j'ai prise de venir ici.

* Prénom d'emprunt


Prochainement dans Bon pour la tête

Chapitre 2, la traversée: Des haricots, de l'eau, des cookies et le coyote




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