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Culture


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Parti pour un «La La Land 2», Damien Chazelle s'est d'ores et déjà planté au box-office avec «Babylon», film-monstre qui recrée le Hollywood d'antan, au passage du muet au parlant. Trois heures d'excès en tous genres sans véritable histoire d'amour autre que celle qui nous lie tous au cinéma. Une folie?



Hollywood disposerait-il de trop d'agent? Quand même un film d'auteur présente une ardoise approchant les 100 millions de dollars, on peut se le demander. Fort d'une carte blanche chez Paramount après le carton de La La Land, son magnifique hommage à la comédie musicale de 2016 (et le résultat plus modeste mais encore positif de First Man en 2018), Damien Chazelle, 37 ans, est bien parti pour signer... un bide historique. D'Orson Welles aux frères/sœurs Wachowski, ce genre de revers de fortune existe depuis toujours dans la capitale du cinéma. Mais entre les budgets gardés secrets de Netflix, le coût faramineux des grandes séries de prestige et surtout les films de superhéros devenus «too big to fail», on a à l'évidence atteint une nouvelle démesure. D'où sans doute Babylon: trois heures d'excès en tous genres, d'exagérations grotesques, de séquences plus folles et complexes les une que les autres, qui menacent dangereusement de s'annuler. Mais où est donc passé le cinéaste ambitieux, concentré et cinglant de Whiplash?

Il n'a pas complètement disparu et c'est la bonne nouvelle derrière l'échec patent de Babylon. Véritable cinglé de jazz et de cinéma, Chazelle a saisi ce qu'il savait sûrement être une des dernières occasions pour raconter cet Hollywood d'autrefois dont le souvenir s'estompe. Ses principaux appuis pour prendre son élan? Il était une fois à Hollywood de Quentin Tarantino, auquel il emprunte ses deux stars, Brad Pitt et Margot Robbie, Mank de David Fincher, gros succès d'estime pour Netflix, et surtout Chantons sous la pluie de Gene Kelly et Stanley Donen, qui racontait – on l'oublie parfois – ce moment-clé de la transition du muet au parlant. Sans oublier Hollywood Babylone, le livre-culte du cinéaste underground Kenneth Anger qui compilait les pires tragédies et ragots sur le prétendu «âge d'or» des studios. Il y a un peu de tout cela dans le résultat, d'une virtuosité par moments renversante. Mais aussi le sentiment d'une sacrée occasion manquée faute de cohérence dans le propos.

Trio sur fond orchestral

Le ton est donné par une séquence d'ouverture mémorable: un éléphant est amené jusqu'au milieu d'une grande fête décadente donnée dans une sorte de château isolé sur une colline californienne. De ce fatras invraisemblable émergeront quelques personnages-cé. Il y a d'abord Manuel Torres (Diego Calva), un bel immigré mexicain et homme-à-tout-faire qui ne souhaite rien plus que de faire partie de cette nouvelle usine à rêves. Il y a ensuite Nellie LaRoy (Margot Robbie), une jeune femme qui a fui sa famille pauvre et son New Jersey natal pour devenir la star qu'elle est sûre d'être déjà –  et dont «Manny» tombe aussitôt amoureux. Il y a enfin Jack Conrad (Brad Pitt), un bellâtre au sommet de sa gloire en cette année 1926, plus intéressé par l'avenir de ce qu'il considère comme un nouvelle forme d'art que par ses compagnes successives, mais aussi avec un sérieux penchant pour l'alcool.

Un peu plus tard, tous trois se retrouvent dans une deuxième séquence hallucinante, sur des tournages voisins: tandis que Nellie prouve son talent pour l'émotion sur commande dans une scène de saloon dirigée par une réalisatrice (Olivia Hamilton, Mme Chazelle à la ville), Manny se démène sur le tournage d'un grand film historique dirigé par un émigré allemand (campé par le cinéaste Spike Jonze) dont Jack récoltera les lauriers en tant que vedette. Puis leurs destins se séparent. Alors que Manny trace tranquillement son chemin pour devenir producteur sur les premières bandes musicales immortalisant des jazzmen, Nellie voit sa jeune gloire menacée par la drogue et l'avènement du parlant qui expose un accent jugé vulgaire. Quant à Jack, malgré une voix qui passe bien le mur du son et un foie qui tient encore le coup, il entame son inévitable déclin.

Parmi les autres que ces trois-là croisent, on peut aussi mentionner la journaliste-échotière Elinor St. John (Jean Smart), le trompettiste de jazz Sidney Palmer (Jovan Adepo), l'artiste et rédactrice d'intertitres lesbienne Lady Fay Zhu (Li Jun Li) ou George Munn, producteur malheureux en amour (Lukas Haas). Chacun est composé à partir d'un ou de plusieurs modèles ayant vraiment existé, mais seul le jeune producteur prodige Irving Thalberg (Max Minghella) est un personnage réel – allez savoir pourquoi. Malheureusement, la plupart ne font que de la figuration pour disparaître sans avoir pu avoir un impact sur le récit.

Déclaration d'amour-haine confuse

Le premier gros problème, c'est que tout ce joli monde se croise à peine dans un film qui passe d'une séquence-bloc à l'autre, abusant du montage – musical ou alterné – pour créer un semblant d'unité. Du coup, malgré la reprise de la petite mélodie de La La Land, la romance entre Manny et Nellie demeure à sens unique tandis que le «couple» à distance formé par Jack et Elinor n'apparaît vraiment qu'à la fin, au moment de conclure. Entre-temps, on aura assisté à une virée nocturne démente pour se mesurer à un serpent à sonnette; à une première scène homérique de tournage sonore en studio; à l'humiliation du trompettiste afro-américain obligé de se noircir le visage au cirage; au désarroi de Jack entendant une salle rire à gorge déployée de son dernier mélodrame; ou encore au baroud d'honneur de Nellie, qui finit par vomir littéralement sur la belle société. Et on en passe, jusqu'à une descente aux enfers dantesque (menée par un inquiétant Tobey Maguire) lorsque débute le tour de vis qui entreprendra de «moraliser» Hollywood. Mais rien n'y fait. L'inspiration reste plus disparate que ne paraissent convaincants les efforts pour assembler le tout.

Tôt ou tard, il devient clair que Damien Chazelle n'a pas grand-chose à dire sur le cinéma de cette fameuse époque 1926-1932 (également impacté par une crise économique ici absente), que sa conscience actuelle s'arrête à la porte de la relecture #MeToo (il n'y aurait donc eu que du sexe consensuel?) et surtout que son film ne possède pas le quart du brio de l'hilarant Hail, Caesar! des frères Coen. Un épilogue doux-amer qui suit Manny de retour en 1952 a beau citer directement Chantons sous la pluie, la tonalité de ce qui a précédé rappelle trop la noirceur du Jour du fléau (fameux roman hollywoodien de Nathanaël West de 1939, devenu un film mal-aimé de John Schlesinger en 1975) pour que la mise en abyme fonctionne vraiment.

Sommé d'adhérer soudain à une déclaration d'amour inconditionnelle au cinéma (de D.W. Griffith à James Cameron en passant par Maya Deren et Jean-Luc Godard, tous enchaînés dans un montage délirant), on en reste plutôt pantois qu'emporté par l'émotion. Baz Luhrmann ou Paul Thomas Anderson, autres maximalistes du cinéma actuel, auraient-ils fait mieux? De ce qui ressemble à leur bébé illégitime, on retiendra – comme d'ailleurs du terriblement poseur Il était une fois à Hollywood – surtout la classe d'un Brad Pitt qui sait sa date de péremption proche mais qui prête encore une fois toute son auto-ironie à un projet aussi bancal que démesuré.


«Babylon», de Damien Chazelle (Etats-Unis, 2022), avec Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva, Jovan Adepo, Jean Smart, Li Jun Li, Tobey Maguire, Katherine Waterston, Eric Roberts. 3h09

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