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Actuel

Actuel / Le poinçonneur de cartons

Isabel Jan-Hess

9 septembre 2017

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Ultime noteur-arrangeur de partitions d’orgue de barbarie en Suisse romande, Jean Ketterer fait figure de dernier des Mohicans. A 82 ans, ce passionné joue encore du perforateur pour créer ou transcrire des mélodies qu’il déroule dans les fêtes populaires. Sa musique, au son familier et festif, est contemporaine ou classique avec une préférence marquée pour le ragtime et son idole Scott Joplin. Son seul regret: n’avoir trouvé aucun successeur.



A l’ère industrielle, dopée par le numérique, la technologie et l’automatisation des gestes les plus simples, des métiers ancestraux délaissés renaissent ou refusent de mourir. Comme les légumes oubliés, l’artisanat, des techniques de production, d’élevage ou d’activités quotidiennes abandonnées retrouvent leurs lettres de noblesses et séduisent même de plus en plus de jeunes. Ils sont forgerons, ocularistes, bergers, vignerons, cordonniers, musiciens … et tous parlent d’avenir, portés par des valeurs éthiques et les contacts humains.


Isabel Jan-Hess (texte) et Noémie Desarzens (vidéo)

Jean Ketterer raconte l’instrument magique, en tournant la manivelle, glissant les cartons pliés ou tournant les galettes en carton. © Bon pour la tête


Les envolées lyriques résonnent dès l’arrivée sur le palier Jean Ketterer. Dans l’appartement du couple, installé depuis 40 ans à Plainpalais, une pièce entière est dévolue à ses orgues de barbarie. De curieux instruments à vent aux noms poétiques, tel la serinette, servant à apprendre à siffler aux serins, dont il détaille volontiers le mécanisme. «Certains orgues sont à cylindres, d’autres à carton perforé, à lecture pneumatique ou à peigne. Et aujourd’hui il y en a même dotés d’une puce électronique», précise-t-il dans un élan d’enthousiasme.

Cartons en accordéon ou galettes

Incollable sur le mécanisme et sur les morceaux de son impressionnante collection, il raconte l’instrument magique, en tournant la manivelle, glissant les cartons pliés ou tournant les galettes en carton. Les pièces de cet ancien inspecteur de la police genevoise sont uniques et manuelles. Une collection d’une dizaine d’orgues de rue aux tailles diverses, qu’il caresse comme des bijoux. «Enfant j’étais fasciné par les lanternes magiques, plus tard j’ai collectionné les phonographes, jusqu’au jour où l’orgue de barbarie s’est imposé, se souvient-il. C’était en 1973 à Carouge, à l’occasion d’une exposition de phonographes. J’ai vendu tous mes appareils et acheté mon premier instrument.»

A 82 ans, ce mélomane averti ne compte plus les festivals auxquels il a participé. «Au début on gagnait un peu d’argent qui finançait le voyage, sourit-t-il. Aujourd’hui, les gens ne donnent plus rien, la dernière fois que je suis allé à une manifestation en France, j’ai tout juste pu me payer deux verres! Mais c’était sympa!»

Lorsqu’il se met à jouer, son visage s’éclaire, il est en apesanteur sur Nabucco. Cet autodidacte connaît par cœur chacune des centaines de partitions qu’il a lui-même créées ou transcrites. Et si une note déraille, il opère immédiatement une retouche au carton abîmé. Loin du poinçonneur des Lilas, Jean Ketterer affectionne la perforation en rectangle. De petits trous qu’il découpe avec une précision chirurgicale, à l’aide d’une drôle de machine à pédale. «C’est un copain qui m’a bricolé ça un jour pour que je puisse faire mes cartons», plaisante-t-il en traçant les espaces à couper au millimètre près.

Inspiré du métier à tisser

Jean Ketterer est aussi intarissable sur l’histoire de son instrument fétiche. «L’orgue est ancestral, on a découvert qu’un calife en avait offert un à Pépin le Bref, assure-t-il. Mais les premiers orgues de barbarie au carton perforé, sont apparus au début du XVIIIe. Directement inspirés des métiers à tisser.»

Mais malheureusement, en 2017, faire danser dans les fêtes populaires ou jouer les troubadours n’intéresse plus grand monde. «Cela fait déjà des années que "noteur-arrangeur" n’est plus un métier, regrette celui qui a pourtant tenté, en vain, de transmettre sa passion. Noter, arranger ou jouer de l’orgue de barbarie, aujourd’hui ça ne rapporte plus que du plaisir.» Une réalité qui n’entame en rien la joie de vivre de ce retraité, presque aussi connu au bout du Léman que son cousin Claude Ketterer, ancien maire de Genève.


Précédemment dans Bon pour la tête

Métiers oubliés, métiers d'avenir (1): Les fées du regard de verre

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