Actuel / L’extase de la solitude à l’alpage
Architecte de formation, Samuel Devanthéry a tout plaqué il y a quelques années pour devenir berger! Un changement de vie radical pour cet enfant de Genève, plus habitué aux soirées étudiantes qu’à la solitude. Celle qui l’accompagne désormais plusieurs mois chaque année, au milieu d’une nature vierge et foisonnante. Gardien estival de plus de 500 moutons d’un cheptel valaisan, le jeune homme de 30 ans estime avoir pris le bon chemin vers la vie et la liberté dont il rêvait.
A l’ère industrielle, dopée par le numérique, la technologie et l’automatisation des gestes les plus simples, des métiers ancestraux délaissés renaissent ou refusent de mourir. Comme les légumes oubliés, l’artisanat, des techniques de production, d’élevage ou d’activités quotidiennes abandonnées retrouvent leurs lettres de noblesses et séduisent même de plus en plus de jeunes. Ils sont forgerons, ocularistes, bergers, vignerons, cordonniers, musiciens … et tous parlent d’avenir, portés par des valeurs éthiques et les contacts humains.
Isabel Jan-Hess (texte) et Noémie Desarzens (vidéo)
«Je navigue entre deux cabanes très spartiates, mais avec l’eau courante, qui me servent d’abri».
La vue est imprenable, l’espace infini, bienvenue au paradis! Après quelques lacets serrés, sur un chemin de campagne cabossé, l’arrivée sur l’alpage des Arpillettes au-dessus des Diablerets est revigorante. La journée est orageuse, les vaches perchées sur les collines se couchent les unes après les autres, les cochons de l’élevage alpin s’agitent dans leur étable. Plus loin des centaines de points blancs, indiquent que nous sommes sur la bonne route.
Un nuage de moutons accrochés à la colline
Le cheptel de plus de 500 moutons, gardés par Samuel Devanthéry, se déplace doucement, comme un nuage, sur une crête, située au-dessus d’Isenau. Deux de ses quatre chiens accompagnent le mouvement. Malgré une fracture à la main toute fraîche, le jeune berger pique des barrières pour diriger le troupeau vers un pâturage bas. «Je vais les laisser ici, le temps d’aller voir un médecin au village», explique-t-il un peu contrarié par sa blessure, provoquée par le passage impromptu d’un mouton dans un couloir de tri. «Ils auront suffisamment à manger si je dois rester en bas pour la nuit.»
En temps normal, ces brebis suffolk, d'origine anglaise et leur berger dorment à plus de 2200 mètres d’altitude. «Je navigue entre deux cabanes très spartiates, mais avec l’eau courante, qui me servent d’abri et autour desquelles des parcs ont été aménagés avec des couloirs permettant de sortir une bête en cas de besoin médical ou autre.»
Le chetpel fonctionne de manière très organisée. Il y a les meneuses, les jeunes, les plus âgées et tout ce petit monde déambule tout l’été, loin de l’agitation de la plaine. «A la fin de la saison on lâche quelques béliers pour la reproduction, précise le berger. Ainsi, les brebis mettront bas à l’automne à l’étable». Des naissances que le trentenaire a appris à gérer, mais qu’il préfère laisser à des professionnels. «Autrefois le berger pratiquait les opérations, accouchait ses bêtes etc… On apprend ça, mais généralement en cas de problème, on appelle un vétérinaire ou un spécialiste.»
«On est dans l’anticipation permanente»
La vie dans la nature sauvage implique aussi beaucoup d’ingéniosité et d’adaptation. «On est tributaire de la météo, des animaux, on doit gérer les provisions qu’il faut porter jusqu’aux cabanes (plus de 40 minutes de marche pentue à chaque fois, nldr), réparer les enclos, bricoler à la cabane, surveiller les transhumances, etc…» Car chaque déplacement est surveillé et cadré. «On est dans l’anticipation permanente, à donner des consignes précises aux chiens, sinon l’accident est vite arrivé.» Cet été Samuel a perdu trente-quatre moutons, tombés d’une falaise. «Une meneuse est partie dans la mauvaise direction et les bêtes ont suivi, jusqu’à ce que j’arrive à stopper ce carnage. C’était terrible!»
Diplômé de la volée 2016 de la formation romande de bergers, le Genevois a découvert le monde de l’alpage au hasard de son service civil. «C’était une période où j’avais besoin de changer radicalement d’air, je peinais à trouver la motivation pour terminer mon master en architecture. Lorsque j’ai vu «berger» parmi les propositions, j’ai foncé!» Et le jeune homme n'a pas été déçu. «Mais il ne faut pas croire qu’on rigole tous les jours, beaucoup de jeunes imaginent se la couler douce dans la nature, mais il y a beaucoup de contraintes et c’est du 24h/24.»
La richesse de se sentir libre
Sans compter que les revenus de ce gardiennage ancestral ne font pas rêver. «Je gagne en moyenne 3000 francs net par mois, mais si j’avais voulu devenir riche financièrement j’aurais poursuivi dans l’architecture, plaisante-t-il. C’est une autre richesse qui m’a attiré ici: la liberté.»
Son premier été, il l’a passé avec un berger professionnel en Valais. «C’était magique, j’ai senti très vite que c’était ça que je voulais faire. Après quelques mois, lorsque son aîné lui propose de rester seul quelques jours avec les bêtes dans la montagne, Samuel Devanthéry n’hésite pas une seconde. Il découvre l’extase de la solitude dans les bruits et les odeurs de la montagne sauvage. «On n’est jamais seul en réalité, il y a le troupeau, les chiens, les chamois, les bouquetins et les animaux qui sortent la nuit. Les étoiles aussi, c’est fascinant. Chaque jour ne ressemble jamais au précédent.»
Mais, contrairement à ses prédécesseurs, le berger 2.0 peut compter sur le smartphone pour limiter un peu l’isolement. «J’échange beaucoup avec mon amie, bergère en Valais. On s’est rencontré durant la formation et on envisage de partir un jour à la rencontre des bergers de Mongolie.» Pas trop difficile d’être séparés plus de quatre mois par année? «On s’habitue à tout et on n’a que plus de plaisir à se retrouver.»
Avec le temps, on travaillera peut-être ensemble, ajoute le jeune homme. A terme, j’aimerais devenir éleveur et passer l’année avec les bêtes. Actuellement je dois me trouver des petits boulots chaque hiver jusqu’au prochain départ à l’alpage.»
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