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Histoire / L’affaire Navalny ou de l’usage du complotisme


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Ce livre dont les médias n’ont guère parlé a de quoi semer le trouble chez quiconque se méfie des récits simplistes. D’abord parce qu’il est le fruit du travail fouillé d’un grand pro du renseignement, Jacques Baud, qui a passé sa vie à regarder au-delà des apparences; aujourd’hui retraité après une carrière auprès de la Confédération, des Nations-Unies et de l’OTAN. Son ouvrage intitulé «L’affaire Navalny. Le complotisme au service de la politique étrangère» va bien au-delà du cas particulier, il démonte les mécanismes de la propagande et de l’action des Etats-Unis, suivis par les Européens, face à la Russie et d’autres pays.



Pour l’opinion publique occidentale, l’affaire est entendue. Navalny a été empoisonné par les agents de Poutine en raison de son engagement en faveur de la démocratie. Or cette vision ne résiste pas à l’analyse fouillée des faits qu’a entrepris Baud, sur la base de sources officielles ou para-officielles, de médias russes d’opposition, à l’exclusion de toutes celles en provenance du Kremlin ou téléguidées de là. Le livre ne donne pas la clé de l’énigme mais le moins que l’on puisse dire c’est que celle-ci subsiste.

«La faute à Poutine»?

L’empoisonnement au «novitchok»? Bien que cette thèse ait été martelée par plusieurs gouvernements et tous les médias alignés, il n’en existe aucune preuve. Les médecins et les divers experts allemands qui ont analysé le sang et l’urine du malade accueilli à Berlin, deux jours après son malaise dans un avion et une escale à l’hôpital de Omsk, ont constaté «une intoxication par une substance du groupe des inhibiteurs de cholinestérase». Comme l’ont fait plus tard des chercheurs suédois, britanniques et français qui tiennent pourtant secrets les détails de leurs découvertes. Le hic, c’est que ces perturbateurs du système nerveux peuvent provenir de certains médicaments ou d’une intoxication alimentaire. A noter d’ailleurs que le gouvernement allemand n’a jamais incriminé directement la Russie. Un examen de tous les faits suggère que s’il y a eu volonté d’éliminer Navalny, il y aurait eu bien d’autres moyens plus efficaces et plus discrets de le faire. Qui d’autre aurait pu? Les hypothèses ne manquent pas dans un pays où les mafieux sans scrupules sont légions. Les affairistes ne se font pas de cadeaux.

Mais dès le début, pouvoirs et médias ont asséné une version simple: c’est la faute à Poutine! L’entourage de l’opposant s’y est engouffré immédiatement, donnant d’ailleurs plusieurs versions contradictoires du déroulement de l’histoire.

Pour rendre le récit plus accablant, il fallut aussi dresser un portrait flatteur du personnage, présenté comme un vaillant défenseur de la démocratie. Or sa biographie montre d’autres facettes. Homme d’affaires avant d’être politicien, Navalny est un ultra-nationaliste qui a frayé avec l’extrême-droite russe, xénophobe et raciste. Ce qu’a révélé d’ailleurs Amnesty international qui réclame certes sa libération mais lui refuse le statut de prisonnier de conscience car «il s’est fait avocat de la violence et de la discrimination et n’a jamais retiré ses déclarations».

Son action politique? Elle visait exclusivement au renversement de Poutine et son parti, rassemblant les démocrates, les indignés de la corruption, mais aussi la droite ultra-nationaliste, elle aussi opposée au pouvoir. Aucun projet cohérent pour la société, aucun programme précis. Le champ de ses sympathisants, selon des sondages menés par un organisme de l’opposition, apparaît beaucoup plus restreint que cela n’a été dit et ressassé par les médias occidentaux. La chasse actuelle à ses partisans ne plaide certes pas en faveur de Poutine mais ne suffit pas à conclure que ceux-ci constituent un mouvement déterminant dans le jeu politique.

Guerre froide et pays amis

Sur cette affaire, Baud ne livre pas une démonstration, mais une somme extraordinaire d’informations tues ou déformées. A chacun de se faire son opinion. Il est plus catégorique en revanche sur l’engrenage général d’un discours totalement orienté, ignorant les contradictions, au point de constituer un véritable complot politique. La manipulation manichéenne est un instrument de pouvoir. Elle peut aussi égarer le jugement de ceux-là même qui s’y complaisent. Comment ne pas voir la différence des regards sur les violations des droits de l’homme lorsqu’elles surviennent en Russie ou en Arabie saoudite, ou d’autres pays «amis». On décrète des cascades de sanctions dans un cas, on ferme les yeux dans d’autres. Punir certains, sans grand effet d’ailleurs, et flatter d’autres, parfois aux comportements pires, dans son intérêt. Telle est la politique de l’Occident. Où mène-t-elle? A qui profite cette nouvelle guerre froide, hormis les marchands d’armes?

Lire ce livre au moment du désastre de l’OTAN en Afghanistan est tristement piquant. Les errements occidentaux donnent le vertige. A chaque fois c’est une lecture prédéterminée, une approche volontairement émotionnelle de la réalité qui a prévalu plutôt qu’une analyse froide et libre des faits.

Convaincu de cela, Jacques Baud a publié aussi un petit livre sur le détournement de l’avion Ryanair en Biélorussie. Sans éprouver la moindre sympathie pour le dictateur en place, il révèle là aussi un emballement politique et médiatique que vient ébranler la reconstitution minutieuse de l’événement, pièces à l’appui. Seul regret: Baud aurait pu évoquer aussi les errements de l’information donnée par le Kremlin.

Ses travaux suscitent assez peu de vagues alors qu’ils sont pour le moins ébouriffants. Ceux que ces ouvrages irritent préfèrent les enfoncer dans le silence. Parce que les faits révélés ne sont pas faciles à contredire. D’accord ou pas avec les réflexions de Jacques Baud, il s’impose de saluer son effort et son courage.


«L’affaire Navalny. Le complotisme au service de la politique étrangère», Jacques Baud, Editions Max Milo, 142 pages. 

«Le détournement du vol Ryanair FR4978. Le mensonge au nom de la vérité», Jacques Baud, Editions Sigest, 80 pages.


A voir aussi: l'entretien-vidéo avec Jacques Baud réalisé par Martin Bernard pour la plateforme Antithèse

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