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Analyse


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«On» a gagné. «On» a perdu. «On» est les meilleurs. «On» va se rattraper. La facilité avec laquelle les gens d’une même nation, le temps d’une grande compétition de football, arrivent à dire «nous» est à saluer. Mais un élément est triste dans ce patriotisme. Au-delà de ses quelques débordements nationalistes.



Il n’y a pas à dire, l’énergie positive dégagée par la ferveur collective qui s’opère durant les grands tournois de football, beaucoup relevée par les observateurs, est plus que sympathique: elle est poignante. Et peut-être d’autant plus bienvenue que sa couleur se fait rare. Blanche et rouge en ce qui concerne la Suisse. Passons sur la fondue, les montagnes et les quelques folklores entretenus artificiellement par des chauvins en chemise édelweiss; il faut bien reconnaître que les occasions d’avoir un sentiment de communauté nationale ne se manifestent plus qu’au foot.

On peut se réjouir de ce patriotisme, qui n’est certainement pas de pacotille, bien que passager. Les gens ont besoin de commun, c’est une donnée humaine et rien ne changera à cette universalité. Il n’y a rien de plus banal et à la fois de plus vague que de déclarer, dans le but de paraître intelligent, que nous vivons actuellement dans une société individualiste. Et tous ceux qui ont assisté au moins une fois à un concert de Johnny savent que ce qui se passe dans une foule bon enfant, cela remplit de baume un besoin de l’âme que rien d’autre ne peut prétendre satisfaire. Le football réalise donc cette grande prouesse de créer un sentiment de communauté, et pas n’importe laquelle, j’ai nommé la communauté nationale, la seule qui vaille sur le plan politique.

Une indifférence nationale le reste du temps

En même temps, quelque chose dans ce patriotisme footeux est attristant. Ce ne sont pas, par ordre d’importance, les débordements de type nationaliste – après tout, c’est plutôt marginal et ça n’a beaucoup de conséquences sociétales une fois passé le match. Non, ce qui est dommage, et pour tout dire désolant, c’est que ce patriotisme footeux soit si facile alors que le reste du temps, nous ne sommes pas beaucoup à nous soucier de notre destin national, de notre histoire, de notre avenir. Et il se fait rare de connaître nos institutions, nos paysages, nos villages.

Ce désintérêt pour la nation, d’où vient-il? Du confort et du capitalisme, qui, hors d’une philosophie libérale classique capable de le positionner dans le cadre des Etats-nations, se passe volontiers de frontières? Peut-être bien. De l’effondrement du savoir traditionnel, qui engendre un effondrement de la culture et donc du civisme? Il n’est pas idiot de l’envisager. Mais le mal vient sans doute aussi un peu de nous-mêmes, en l’occurrence nous autres Suisses, qui estimons que tout roule à peu près, que les institutions peuvent fonctionner sans notre entremise.

Il ne s’agit pas de revitaliser un patriotisme général et sain pour le supplanter à la liesse footballistique. Mais de retrouver ce sentiment pour l’appliquer dans le cadre du sport national et de toutes les autres occasions de dire «nous» autrement que dans l’idée de communautés ethniques, sexuelles ou autres. Il s’agit de retrouver une société libérale, non tribale. Car le «nous» ne disparaît jamais, il s’agit juste de bien le définir. Et d’y ajouter ses idées, sa personnalité, ses passions et paresses. Souvenons-nous qu’être patriote, c’est aussi être fier d’appartenir à une communauté de valeurs – parmi lesquelles la tolérance et la raison. Alors le patriotisme footeux brillera encore plus et gagnera en légitimité.

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