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Analyse

Analyse / Merci à Serge Gumy, rédacteur en chef de «La Liberté»


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Une lettre de lecteur publiée dans le quotidien fribourgeois «La Liberté» a créé une grande controverse. Intitulée «Aux jeunes filles en fleurs», elle a été considérée par des lectrices et des lecteurs comme une banalisation de la «culture du viol». Mais finalement, l'auteur de la lettre a-t-il compris pourquoi certaines de ces femmes qu’il semble tant apprécier se sont senties injuriées? La méthode pour s'opposer à ses propos a-t-elle été la bonne?



Il faudrait dire merci à Serge Gumy. Au lieu de cela, on l’insulte, on tague les voitures de son journal et on le force à s’excuser à genoux. Il faudrait lui dire merci parce que grâce à lui et à son journal, La Liberté, on peut savoir ce que pense Paul Clément de Fribourg et tous les autres Paul Clément du monde.

Je suis abonnée à plusieurs lettres d’information qui ne reflètent pas ma vision du monde. Je lis des publications émanant de milieux dont je ne partage pas les opinions. Je lis des livres qui ne me plaisent pas mais dont je sais qu’ils plaisent à d’autres, à beaucoup d’autres. Je lis les lettres de lecteurs et lectrices des journaux d’ici et d’ailleurs parce qu’elles me donnent l’occasion de savoir ce que pensent non seulement les journalistes mais également leur lectorat, mes semblables, mes frères.

Savoir comment pense son voisin

Je considère que connaître l’Autre est la base de toute vie en société. Je veux savoir comment pense mon voisin, mon concitoyen, ne serait-ce que pour mieux le combattre lorsque − parce qu’il ne pense pas comme moi, parce qu’il m’agresse, parce qu’il me fait du tort − il devient mon ennemi.

Merci à Serge Gumy, donc, de nous montrer que parmi nous, des Paul Clément voient «les jeunes filles en fleur» comme de «belles plantes que l’on rencontre au gré de nos promenades», des «nymphettes» aux «genoux faisant des clins d’œil à travers (leurs) jeans percés et rythmés par (leur) démarche chaloupée», confondant allégrement liberté de se vêtir et provocation.

Heureusement qu’il y a des Paul Clément pour penser tout haut, et en plus vouloir vaniteusement rendre sa pensée et sa prose publique! Sans le vouloir, tout fiérot de sa prose printanière guillerette et coquine, les sens en émoi après quelques rayons de soleil, héritier d’une culture de lubricité machiste la plupart du temps inoffensive mais très agaçante, Paul Clément s’est retrouvé exposé d’une manière qu’il n’imaginait pas. Que sa lettre de lecteur mérite ou pas le torrent de haine qu’elle suscite depuis sa publication lundi dans La Liberté, elle nous donne l’occasion d’exprimer à notre tour ce que nous pensons des gambettes des «nymphettes». Savoir ce que pense Paul Clément est utile. Cela nous apprend à réagir, à dire à nos filles de se méfier, et surtout nous permet de réaffirmer ce à quoi nous croyons. Encourageons la liberté de toutes les expressions, même celles qui nous déplaisent, pour mieux affuter les nôtres! Et, peut-être, si possible, convaincre.

Car que voulons-nous? Voulons-nous couper le caquet à tous les Paul Clément du monde? Ne pas les entendre? Ou leur faire changer d’avis? Préférons-nous ne pas savoir que nous ne voyons pas tous et toutes le monde de la même manière ou changer le monde, le faire évoluer dans le sens que nous souhaitons?

Débattre plutôt qu'interdire 

Je suis de la culture du débat. La pédagogie ne passe jamais par l’interdiction, ni par l’intimidation, bien au contraire. Interdisez à un homme ou à une femme d’exprimer une opinion, ou même de la penser en son for intérieur: il ou elle n’en sortira que renforcée dans cette opinion. Quelle erreur que de se priver de savoir ce que pense les gens, tous les gens, même ceux qui pensent mal selon nous! La liberté d’expression permet justement la confrontation des opinions. Si nous ne voulons pas entendre l’Autre, c’est que nous ne supportons pas la différence, fût-elle insupportable. Si nous voulons changer le monde, le rendre meilleur à nos yeux, il faut commencer par l’entendre, le comprendre pour ensuite le critiquer et l’amener, si possible, là où nous voulons. C’est long, cela demande patience, abnégation, humilité et tolérance, même pour l’intolérable. Vivre ensemble, ce n’est pas vivre l’un contre l’autre. Il ne s’agit pas de vaincre mais de convaincre. Paul Clément est symboliquement mort. Il a été ridiculisé, insulté, renié même par son cher journal La Liberté qui a exprimé ses «profonds regrets» pour avoir publié sa lettre − mais est-il convaincu? A-t-il compris pourquoi certaines de ces femmes qu’il semble tant apprécier se sont senties injuriées? Quelqu’un, quelqu’une lui a-t-il, lui a-t-elle parlé? A nous de jouer.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

10 Commentaires

@peclet 16.04.2021 | 07h20

«Débattre, certes, mais alors parlons du fond. La lettre incriminée a été inspirée par un autre texte paru dans "La Liberté" déjà, intéressant de le noter ! C'était la protestation d'une collégienne de Gambach convoquée par son professeur qui lui reprochait de ne pas porter de soutien-gorge et avait ainsi suscité un tollé. La lettre peut-être malhabile voire lourdingue de Paul Clément - chacun en jugera - se voulait une réponse à la collégienne et reprenait l'argument: "arrêtez de déclarer que vous êtes libres de vous habiller comme vous le désirez". On connaît la riposte féministe classique: "notre corps, notre choix!, ce n'est pas aux femmes d'aller se rhabiller mais aux hommes de mieux se contrôler". Il y a de la pertinence dans cet argument, mais il m'a toujours semblé un peu court, sinon hypocrite. De tout temps, l'habillement a fait partie des stratégies (ô combien complexes...) de la séduction. Isabelle Falconnier le sait mieux que personne, la littérature, féminine notamment, regorge de descriptions où le choix élaboré d'une tenue attirant les regards s'inscrit dans un processus de mise en confiance de soi. A partir de quand la réaction - attendue, voire suscitée - d'un homme relève-t-elle d'une "culture de lubricité machiste"? Il serait intéressant d'en discuter, mais cela ne semble guère possible dans un climat où les "victimes" ou prétendues telles se muent en authentiques terroristes.

Jean-Claude Péclet»


@Menusier 16.04.2021 | 08h41

«Chère Isabelle, ton article est très bien, j’en partage le point de vue sur la liberté d’expression, sur le fait de pouvoir entendre des opinions contraires aux miennes, etc., ce qui est la condition même de la démocratie. Mais ton propos est peut-être trop bien, trop calculé, trop pesé, trop politique. Comme le relève Jean-Claude, la provocation par le vêtement (où son absence), où si l’on préfère la mise en avant de ses atours, par quoi on entend susciter un désir (ou une répulsion: je me fais moche selon vos critères et je vous emmerde), fait partie de la stratégie de séduction ou de mise à distance souhaitée par l’individu. Le terme de provocation est certes ambigu car il peut laisser croire que l’agresseur aurait des circonstances atténuantes. Or il n’en a pas. C’est pour cela que dans nos sociétés nous soutenons la position suivante: c’est à l’individu de se contrôler. Mais on ne peut pas dire qu’il n’y a jamais provocation ou mise à l’épreuve du désir de l’autre, sinon autant supprimer toute les facs de psychologie, et au passage interdire la psychanalyse. Provoquer doit être ici pris au sens strict: je provoque (ou non, ce n’est pas nécessairement une volonté) une réaction en effet libidineuse, une envie ou une projection imagée, mais j’ai le droit (et c’est très bien et c’est essentiel) de ne pas être importunée ou agressée. Cela vaut pour les mecs bien foutus qui ont de beaux muscles ou des « beaux culs ». Eux aussi font commerce de désirs et peuvent adopter des attitudes provocantes au sens où elles provoques une envie sexuelle. Dernière chose, toute haine n’est jamais méritée me semble-t-il. C’est un principe. Et si la lettre de ce lecteur mérite débat, son auteur ne mérite pas la haine. »


@ESSEIVA 16.04.2021 | 10h10

«Merci à vous pour ce bel article.
Ch. Esseiva»


@bouc 17.04.2021 | 02h44

«"Ni haine ni violence", pour paraphraser Spaggiari, auteur principal cerveau du casse contre la Société générale de Nice de 1976.
Mais une inquiétude quand même: y aura-t-il assez de voix nuancées pour couvrir le brouhaha et dire que tant M. Clément, avec sa lourdeur, que les personnes qui s'en prennent au journal ayant passé sa lettre sont parfaitement à côté de la plaque? Et que la complaisance à l'égard de l'un et des autres contribuerait détestablement à pourrir le climat de notre vie en société, qui n'a juste pas besoin de ça en période de tension, induites par des crises successives et cumulatives.
Luc Recordon»


@Eggi 18.04.2021 | 23h06

«L'article a aussi le mérite d'avoir suscité tant d'excellents commentaires, ce qui est malheureusement rare dans BPLT...»


@markefrem 20.04.2021 | 06h25

«Accord total avec Madame Fauconnier. La mode est certes à la victimisation, mais un peu de tolérance et d'ouverture d'esprit font du bien, merci !»


@Loicguelat 20.04.2021 | 14h35

«Rien qu'au titre de la lettre en question, je ne peux m'empêcher de penser à Marcel Proust et son "A l'ombre des jeunes filles en fleurs". De plus, au vu du coup de plume de Monsieur Clément, j'ose penser qu'il s'agit d'un érudit. Doit-on y voir une recherche de sa madeleine?
Le texte est quelque peu déplacé, mais j'ose dire que j'en ai beaucoup ris. Je pense qu'il faut avoir quelque chose à se reprocher soi-même pour réagir à tel point contre le quotidien la Liberté. Heureusement que ce journal a osé publié une pareille lettre, pour nous rappeler que même dans une démocratie et sous ses apparentes libertés infinies, il faudrait garder de vieux réflexes acquis jadis sous les dictatures: l'infinie discrétion et un minimum de décence. Si j'avais une fille (j'ai un garçon), je m'empresserais de lui faire lire la lettre en question pour qu'elle comprenne à sa juste valeur tout le patos qui habite certains hommes. Elle comprendrait alors que sa propre liberté s'arrête où celle des autres commences.
Cette lettre suscite débat, elle a le mérite de le faire et je pense que nous aurions meilleurs temps d'élever le débat au niveau national.
En tant qu'homme, je me sens libre dans notre pays, mais toutes libertés n'est quand même pas bonne à prendre.
»


@Elizabeth 20.04.2021 | 15h18

«Je ne vois rien à redire à la lettre de M. Clément, que je trouve gentiment désuète et porteuse de l'air d'un autre temps. J'éprouve par contre une certaine honte, en tant que femme, devant les réactions aberrantes et disproportionnées de ces féministes enragées, et carrément de la colère à l'encontre du journal qui a cru bon de s'excuser d'avoir publié ce papier somme toute plutôt innocent. »


@Aspirine 25.04.2021 | 21h39

«Tout à fait d'accord avec le commentaire d'Elizabeth !
»


@stef 22.05.2021 | 23h30

«Toujours néanmoins garder à l'esprit que des parties dénudées du corps ont de tous temps suscité le désir du sexe opposé.
Les modes vestimentaires et technologiques ont dernièrement progressé bien plus vite que notre pauvre cerveau encore fortement ancré dans le matérialisme lubrique et non raisonnable propre à Homo Sapiens.

Les personnes clamant qu'elles ont le droit de s'habiller comme bon leur semble se trompent.
Non pas de par la loi, mais de part nos instincts primordiaux.»