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Chronique

Chronique / Prenez donc le parti d’en rire, et l’an neuf sera sans pareil!

Jean-Louis Kuffer

8 janvier 2021

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Humour dingue et tendresse, sur fond de Bêtise triviale ou royale, marquent les séries anglaises «Mum» et «The Crown», à voir avec une double révérence festive à nos mères plus ou moins couronnées…



Je suis resté scotché bien tard, ce soir du Nouvel An 2021, à regarder les dix-huit épisodes de 25 minutes de la série anglaise Mum, littéralement fasciné par ces tableautins empreints de la plus pure sottise, laquelle est cependant  considérée avec un regard d’une non moins pure tendresse, où la comédie humaine se nourrit des petits riens de la vie quotidienne.

Si l’humour très british de la chose, verbalement, relève parfois de l’intraduisible ─ les sous-titres français ne rendant pas la touche particulière du langage popu de la classe moyenne anglaise inférieure, genre cockney ─, les situations et l’éventail de gestes et d’expressions faciales, merveilleusement travaillés par les acteurs, reflètent du moins une vérité tellement générale, et avec une telle dose de dinguerie que n’importe qui en sourira ou en rira aux éclats, alors même que le propos sous-jacent reste d’un vrai sérieux pince-sans-rire, rappelant parfois un Desproges…

La ligne narrative principale de Mum est l’histoire d’une vieille amitié qui se transforme en amour tendre. Cathy, à l’approche de la soixantaine, vient de perdre David et se retrouverait seule dans son cottage à petit jardin si son sweet home n’était envahi du matin au soir par de terrifiantes andouilles: à savoir Jason son grand fils un peu dadais et sa cruche blonde gaffeuse au prénom de Kelly, Derek son frère faraud que sa compagne Pauline mène par le bout du zob en mijaurée aussi guindée que bas de gamme, à quoi s’ajoutent les vieux parents de David dont l’agressivité grossière se radoucit peu à peu alors même que les traits les plus caricaturaux de tous se nuancent à l’avenant. Car on est ici au-delà de la moquerie ordinaire et du mépris des ahuris à la Deschiens: on est avec les gens.   

Très vite en effet, pour qui est attentif ou familier d’un humour anglais déjanté à la Monty Python & Co, les abrutis de Mum se montrent moins débiles qu’au premier regard, et chaque personnage ensuite, au fil de jours et des saisons, montrera un autre visage que celui de la Bêtise.

Dans la foulée, à très fines et brèves touches, de nombreux thèmes actuels auront été abordés par la bande: du deuil qu’il faut absolument «faire» au mimétisme névrotique entre fils et père, des préjugés entre générations accentués sous de nouvelles formes, de la culpabilisation de la veuve ou du veuf désireux de faire encore (un peu) l’amour, de la dégradation du langage et plus généralement de l’art de vivre et de communiquer même entre très proches. En profondeur, suivant l’évolution des personnages la série devient alors, par delà la satire, une sorte de plaidoyer pour la gentillesse.

Bien entendu, le personnage inénarrable de Pauline, la belle-sœur snob de Cathy qui se donne grand genre et voudrait tant être considérée comme une femme de qualité, relève de la caricature, et la voir lire Ulysse de Joyce au petit déjeuner, l'air pâmé, frise le code de la satire facile; et pourtant non, car on découvre peu à peu ses failles, son désarroi par rapport au sale mec dont elle essaie de divorcer, et ce qu'elle éprouve réellement pour Derek le paltoquet, frère de Cathy, qui lui lèche les babouches comme un chiot servile. Personne, dira-t-elle dans un moment d'abandon, personne ne m'a jamais montré autant de gentillesse que toi, et toute la série est ainsi parcourue d'aveux aussi émouvants qu'inattendus, qui en scellent la gravité tendre sous les dehors de la futilité.

Les conventions de la sitcom poussés à l’absurde révélateur

Avec des personnages de sitcom ultra-typés qu’il pousse à bout, Stefan Golaszewski, l’auteur de Mum,  fait ressortir la possibilité de la bonté,  de la lucidité dans le chaos mental et de la compréhension in extremis. Au fil de dix-huit épisodes, Cathy a «pris sur elle» en encaissant les pires énormités, non sans voir que Michael l’assistait muettement de son affection virant à l’amour, jusqu’au final qui les voit foutre le camp ensemble au dam de la smala…

Et puis le monde un peu fou qui nous entoure est virtuellement là: Mum est votre mère, votre belle-mère espagnole, votre sœur qui vient de divorcer d’un Slovène parvenu, vous reconnaissez en Jason (le fils de Mum) votre cousin plâtrier amoureux d’une coiffeuse bègue, et le frère complexé de Mum (Derek) vous rappelle ce grand flandrin de votre club de pétanque dont l’insupportable compagne n’en finit pas de citer les préceptes de Nadine de Rotschild, ainsi de suite, entre vos aïeux tousseux et fatigués et vos ados accros aux jeux vidéo, etc.   

Et la Mum royale de The Crown, dans tout ça?   

Cette gentillesse  naturelle ou acquise, évoquée dans Mum, se trouve sans cesse mise à mal dans cet autre feuilleton que représente la saga des Windsor, amplement documentée par les quatre premières saisons de The Crown. Or il faut pas mal d’épisodes, aussi, à travers les vicissitudes du siècle, pour apprécier, sous les extraordinaires contraintes de la Couronne, des traits de gentillesse chez cette autre «Mum» que figure la «Madam» royale au prénom d’Elizabeth.

Guindée en apparence, coincée, glaciale, insensible et rendue telle par le Devoir lié à sa fonction sacrée, mais pas que, et c’est le mérite de cette étonnante fresque de marquer des inflexions d’une vibrante humanité et d’une émouvante tendresse chez le personnage si méconnu de la reine.

Côté Bêtise, une scène de la quatrième saison de The Crown nous ramène enfin au niveau de Mum, quand la pauvre Margaret Thatcher, invitée à Balmoral, se trouve confrontée au clan familial en train de jouer au jeu de société le plus inepte qui soit, consistant à se noircir le museau avec un bouchon brûlé en prononçant des formules infantiles, où la morgue méprisante de ces grands personnages réunis en famille les rabaisse au niveau de pantins mondains – les meilleurs individus devenant en groupe des figures grotesques  devant lesquelles  un seul parti reste à prendre: en rire pour ne pas désespérer de notre drôle d’espèce…


Les séries «Mum» et «The Crown» sont à voir, respectivement,  sur ARTE et Netflix.

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