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Actuel / Les affres de la gauche sud-américaine

Jacques Pilet

2 août 2017

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Un jeune «popiste» vaudois a longuement défendu le régime du président vénézuelien Maduro lors d’une récente émission de Forum. Reprenant fidèlement l’argumentation officielle de Caracas. Présentant l’élection d’une Constituante, ce dimanche 30 juillet, comme un acte hautement démocratique. Pourtant ceux qui défendent ce «coup d’Etat institutionnel», comme disent ses opposants, se font rares. En particulier chez les voisins du Venezuela.



Le discours des communistes européens, accrochés à la mythologie dite bolivarienne, ne trouve guère d’écho en Amérique latine. Même au Venezuela, nombreux sont ceux qui hier ont admiré Chavez – l’auteur de la constitution actuelle! – et qui ont lâché son successeur. En regard du chaos économique et social, de la dérive autoritaire évidente. Certes Maduro a été élu. Mais le Parlement l’a aussi été, avec une participation massive: il en est sorti une majorité à l’opposition. Or cette assemblée a été aussitôt mise sur la touche, ses grandes voix persécutées.

Une triste farce

Quant à l’élection de cette «assemblée constituante», elle a peu à voir avec la démocratie. Le découpage des circonscriptions a été est calculé en sorte que l’«officialisme» l’emporte. Et les entités socio-professionnelles, noyautées par le régime, ont aussi voté. Comme le prônait autrefois Mussolini qui prétendait diriger son pays avec la participation de ce qu’il appelait les corporations. Chaque électeur pouvait ainsi déposer deux bulletins dans l’urne. Le vote de dimanche a eu lieu sans contrôle international – même la presse était exclue des bureaux –, et sans candidats de l’opposition sur les listes. 

Que la participation ait été de 41%, comme l’assure le gouvernement, ou de 12 % seulement comme la calcule l’opposition, peu importe. Nombre de votants craignaient par ailleurs que l’abstention leur amène des ennuis: leur carte d’identité, munie d’un code informatique sophistiqué, était enregistrée au passage devant les urnes, or c’est celle-ci qui donne accès aux bons d’achat de nourriture à prix réduits. Dire le scrutin faussé est un euphémisme.

Cette «constituante» sera aux ordres. Pour quoi faire? Tout indique qu’elle changera les règles du jeu pour permettre à Maduro de se maintenir au pouvoir bien au-delà de son mandat actuel. Pire encore: dès aujourd’hui, selon le gouvernement, elle est dotée de tous les pouvoirs, y compris de dissoudre le Parlement. Le ton a été donné dès le lendemain de l’opération: deux dirigeants de l’opposition viennent d'être arrêtés. 

La dictature se durcit. Comme le font ses adversaires qui ne sont pas tous des enfants de chœur démocratiques. Le chaos va durer.

L’Amérique latine qui eut tant de peine à sortir du temps des dictatures est atterrée: elle ne nourrit aucune sympathie pour cette fuite en avant d’une figure révolutionnaire caricaturale. A gauche, le malaise est profond, la désillusion douloureuse. La plupart des pays de la région ont annoncé qu'ils ne reconnaîtraient pas le pouvoir de la «constituante». Seuls Cuba, le Nicaragua, et la Bolivie continuent de soutenir le gouvernement Maduro. 
C'est Evo Morales, le président bolivien, qui s'est le plus affiché aux côtés du «caudillo» de Caracas dans la tempête. Lui-même est contesté par une partie de son opinion publique. Ses mérites sont certes reconnus: il a assuré une stabilité qui tranche avec un passé tumultueux, il a rendu la dignité à la population indienne, il a défendu les intérêts des plus pauvres et en particulier de la petite paysannerie. Mais en dépit du succès d’un référendum visant à limiter à trois les mandats présidentiels, Morales est décidé à se représenter en 2019 pour une quatrième période de cinq ans. Il y parviendra peut-être car à la différence de son ami Maduro, il garde une grande popularité. Ce n’est pas la polémique autour du nouveau palais présidentiel qui l’ébranlera: une haute bâtisse à 35 millions de dollars en pleine vieille ville de La Paz.

Le vertige brésilien

C’est au Brésil que le blues de la gauche est le plus profond. La condamnation – suspendue par un recours – du mythique Lula à plusieurs années de prison pour corruption a causé un choc. Que la droite ait tout fait pour empêcher l’ex-président de se représenter aux prochaines élections, c’est l’évidence. Mais les faits restent troublants: cette figure populaire entre toutes a bel et bien reçu des cadeaux d’entreprises en quête de faveurs. Et il a puisé dans les caisses obscures de Petrobras pour acheter des votes au Congrès. 

Le fait que ses adversaires politiques sont trempés jusqu’au cou dans des délits semblables, pires encore, poursuivis en nombre, n’atténue pas le désarroi. L’actuel président, Michel Temer, pourrait bien, lui aussi, connaître la prison. Car les juges anti-corruption sont coriaces. L’impasse politique donne le vertige aux Brésiliens qui restent cependant d’un calme étonnant, chacun s’occupant de son sort dans un total mépris des dirigeants.

Le malaise de la gauche démocratique latino-américaine est profond. Pour une raison de fond. Certes Lula et Chavez ont distribué une part importante de la richesse aux classes populaires. Mais ils n’ont pas su consolider l’économie et l’appareil productif. 

Au Brésil, le pouvoir, hier de gauche, aujourd’hui de droite, a laissé les grands groupes opérer à leur guise, souvent avec des méthodes plus que douteuses, a négligé la petite agriculture, n’a rien fait pour promouvoir la petite et moyenne entreprise. Au Venezuela, le chavisme a consacré une grosse part de la rente pétrolière au social, mais trop peu investi dans la production locale. Il était plus facile d’importer la nourriture d’ailleurs plutôt que de développer l’agriculture. Avec la chute du prix du pétrole, avec la prolifération de la bureaucratie, l’Etat s’est trouvé à court de ressources. Maduro a préféré tempêter contre les entreprises étrangères accusées de saboter sa révolution, et celles-là se retirent du pays ou gèlent leurs activités. C’en est au point que plusieurs compagnies aériennes ne volent même plus vers Caracas, l’eldorado d’hier. 

De surcroît l’évolution de Cuba ne fait plus rêver la gauche latino-américaine. L’ouverture à l’entreprise privée reste très limitée. Seul le tourisme est en pleine expansion. Il favorise certains milieux mais ne change pas le sort de la plupart des Cubains. Quant à la vie politique, elle reste verrouillée. L’appareil étatique reste écrasant. Dès lors la plupart des jeunes, comme hier, n’ont qu’une idée en tête: quitter l’île, tenter leur chance ailleurs.

L’exception uruguayenne

Autre signe que les vents tournent dans le sous-continent: même la très sage et modérée Michelle Bachelet, présidente socialiste du Chili, voit sa popularité s’effondrer. Atteinte par une affaire de trafics d’influences où son fils est impliqué. En raison aussi du sérieux essoufflement d’une économie longtemps présentée comme un modèle.

Il n’y a guère qu’en Uruguay que l’image de la gauche reste intacte. L’ex-président José Mujica a su à la fois mener une politique sociale et appuyer une économie saine. Son successeur de droite, Tabaré Vasquez, tente le même pari. Avec succès, semble-t-il. Il est vrai qu’il y a un mot-clé dans cet admirable petit pays: le dialogue. La vertu qui a totalement fait défaut au Venezuela.

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