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Actuel / Clap de fin entre l’EPFL et les Archives d'Etat de Venise


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Le projet Venice Time Machine promettait une plongée virtuelle inédite dans le passé de la Cité des Doges. Mais rien ne va plus entre ses deux partenaires principaux. Vendredi, les Archives d’Etat de Venise annonçaient «l’interruption définitive» des rapports avec l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne.



Ce n’est pas vraiment une surprise. On savait depuis l’automne que la merveilleuse mécanique du projet Venice Time Machine (VTM) était grippée: le 19 septembre dernier, les Archives d'Etat de Venise annonçaient la suspension de la collaboration avec l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL). Il s’avérait alors que le responsable du projet, le professeur Frédéric Kaplan, par ailleurs brillant communicateur, avait peut-être vendu trop vite un projet dont les bases de faisabilité n’étaient pas assurées. Cependant, ce coup de théâtre passé, les deux parties laissaient entendre que des discussions auraient lieu en vue de trouver une voie d’entente.

A l’évidence, le dialogue a avorté: par un communiqué de presse publié le 27 décembre, l’institution vénitienne annonce que «les rapports avec l’EPFL sont définitivement interrompus». En substance, elle reproche à son partenaire suisse «d’invoquer, d’un côté, la transparence des rapports, et de l’autre, de maintenir une totale opacité sur les contenus, les objectifs, les financements et les instruments de recherche».

Sollicitée par BPLT, l’EPFL, qui, depuis le début du différend, désigne la nouvelle direction des Archives comme responsable du blocage, «prend acte de [cette] décision unilatérale». Et affirme tout de go que le projet Venice Time Machine n’est pas compromis et continuera sans la vénérable institution.

Coup de bluf? Pas du tout, précise le service de presse de l’EPFL: les Archives d’Etat de Venise ne sont «qu’une des institutions patrimoniales partenaires du projet». Il y a aussi l’Université Ca’Foscari et la Fondazione Giorgio Cini, dont le nouveau centre de recherche et numérisation (ARCHIve), inauguré en 2018, a pour ambition «de devenir le principal “hub” pour la numérisation du patrimoine vénitien».

Un projet européen

Flash back. Le projet Venice Time Machine débute en 2012, il s’étend aujourd’hui à 18 villes européennes, mais tout est parti des grandes archives de Venise. L'objectif est ambitieux: la numérisation des documents des Archives de l'État doit permettre la reconstitution, sous une forme virtuelle inédite, de l'histoire des mille et quelques années d'existence de Venise. Au-delà du simple archivage, il s’agit de faire revivre le gigantesque maillage des liens sociaux, commerciaux, administratifs, par la mise en relation des sources.

En octobre dernier, Gianni Penzo Doria, fraîchement nommé nouveau directeur des Archives vénitiennes, expliquait à BPLT les raisons de la suspension de la collaboration avec l’EPFL: les Lausannois parlent de rupture des «accords», mais ces accords n’existent pas, disait-il. Il y a eu un mémorandum, approuvé par le ministère italien de la Culture en 2014, qui aurait dû être concrétisé par des accords spécifiques, sur lesquels les deux parties n’ont jamais pu se mettre d’accord.

Une des pierres d’achoppement reste l’accessibilité des données: la direction lausannoise de VTM souhaite une disponibilité sur le web en mode «open», Venise répond que c’est impossible et veut des accords spécifiques sur «quelles données et comment». Globalement, on peut dire que les Vénitiens reprochent aux Lausannois un manque de rigueur scientifique (notamment en ce qui concerne la conservation des données à long terme). Tandis que les Lausannois laissent entendre qu’ils se heurtent à une attitude inutilement procédurière.

Ce qui est sûr, c’est qu’entre les deux parties, le dialogue de sourds est à son comble. Exemple: le 4 octobre dernier, sollicité par BPLT, Frédéric Kaplan faisait répondre qu’il allait incessamment rencontrer Gianni Penzo Doria et ne parlerait à la presse qu’après ce rendez-vous. Une semaine plus tard, le directeur italien assurait n’avoir reçu aucune demande d’entretien. Aujourd’hui, l’EPFL explique que c’est le directeur italien qui a refusé toute proposition de rencontre. Pour les Vénitiens, des discussions ne pouvaient avoir lieu que sur la base de documents établissant un état des lieux du projet. Les Lausannois assurent avoir produit ces documents. Les Italiens rétorquent qu’ils ont en effet bien fini par recevoir un dossier incomplet et surtout, seulement après que l’EPFL ait choisi de s’adresser à aux par avocats interposés…

Enjeux financiers

Une autre certitude: du côté italien, la frustration n’est pas seulement scientifique mais également financière. Il y a une amertume palpable des Vénitiens à voir la manne des financements leur passer sous le nez pour filer vers la riche Lausanne: «Pas un seul euro n’est allée aux Archives de l’Etat de Venise», expliquait Gianni Penzo Doria à BPLT en octobre dernier. Quand on sait que le projet global VTM a reçu un million d’euros de la Commission européenne, on comprend que les enjeux ne sont pas seulement scientifiques.

Ce qui a achevé d’indisposer les Vénitiens, c’est, expliquent-ils dans leur communiqué, d’apprendre «par la presse» les avancées d’un autre projet, Parcels of Venice, pour lequel l’EPFL a récemment décroché 700.000 francs de financement du Fonds national de la recherche scientifique. Les Archives d’Etat de Venise, pourtant gardiennes des documents cadastraux indispensables à sa réalisation, n’ont été informées de rien «même pas par une simple note», s’indigne le texte.

Réponse de l’EPFL: «Les directions de recherche du projet ont été présentées et discutées avec les directions précédentes». Mais les projets de recherche du FNS «ne sont pas destinés à financer directement les activités des institutions patrimoniales étrangères». Ce «malentendu» aurait pu être éclairci par une rencontre, ajoute l’université lausannoise. La fameuse rencontre qui n’aura pas lieu.

Venice Time Machine peut-il vraiment continuer sans les archives vénitiennes? Aussi improbable que cela puisse paraître, sa direction semble déterminée à en convaincre ses sponsors.

Elle promet d’annoncer «les prochaines étapes de son développement dans les prochaines semaines». 


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