Chronique / Notre-Dame: trois mois après
Presque trois mois se sont écoulés depuis le terrible incendie qui ravagea la cathédrale de Paris dans la soirée du 15 avril dernier. L’émotion, aux quatre coins du monde, fut immense. En quelques heures, comme l’écrit Adrien Goetz, la cathédrale de Paris est «devenue Notre-Dame de l’humanité.» Aujourd’hui, on ne parle plus guère de cette funeste nuit, les médias sont passés à autre chose, mais plusieurs livres sont parus, tous écrits dans l’urgence. Tous disant ce lien fondamental à l’art, qui transcende les appartenances, quelles qu’elles soient.
Le premier, intitulé tout simplement Notre-Dame, est signé du Britannique Ken Follet. L’auteur fameux des Piliers de la Terre (1986). Roman vendu à quelques quinze millions d’exemplaires et qui raconte la construction d’une cathédrale dans l’Angleterre du XIIe siècle. Entre 1120, date du naufrage de la Blanche-Nef, vaisseau normand dans lequel périrent 150 hauts barons, et l'assassinat, en 1170, de l'archevêque de Canterbury, Thomas Becket. Lorsque l’annonce de l’incendie de Paris lui parvint, Ken Follet était chez lui, dans le Hertfordshire. Comme tant d’autres, il passa sa soirée suspendu aux chaînes d’informations en continu: «Cette image nous a stupéfiés et chavirés au plus profond de nous-mêmes. J’étais au bord des larmes. Un bien inestimable mourrait sous nos yeux.» Et très vite, il fut lui-même sollicité par les médias. Le surlendemain, il se rendit à Paris. «Je n’ai pas envisagé un instant de rester chez moi. Notre-Dame est trop chère à mon cœur.» Car bien sûr, la cathédrale parisienne, visitée pour la première fois en 1966, a été l’un des modèles de celle des Piliers de la Terre. Et le prieur Philip, qui rêve pour Kingsbridge d’une église à sa mesure, entretient plus d’un point commun avec l’évêque Maurice de Sully qui entreprit, à partir de 1163, l’édification de Notre-Dame.
Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), chimère de Notre-Dame © Wikipédia
Adrien Goetz, déjà cité, est historien d’art et romancier. On lui doit notamment Villa Kérylos (2017), qui retrace l’histoire de la célèbre demeure néo-grecque de Beaulieu-sur-Mer, ainsi que la savoureuse série policière, Les Enquêtes de Pénélope – je recommande tout spécialement à titre de lecture de plage Intrigue à Venise (Le Livre de Poche, 2016). Particulièrement au fait des questions de patrimoine, Adrien Goetz dresse dans son petit livre, Notre-Dame de l’humanité, un constat sans appel. Ainsi «au Louvre, explique-t-il, il y a des pompiers qui dorment sur place, à Notre-Dame, cela n’était pas prévu.» Et de rappeler que quelques semaines plus tôt, un incendie, heureusement vite circonscrit, s’est déclaré dans l’église Saint-Sulpice et que c’est seulement aujourd’hui que sur le site Richelieu de la Bibliothèque nationale des travaux sont entrepris afin de changer les transformateurs électriques datant… du Front Populaire!
La fragilité de notre rapport au passé
Toujours à propos du piteux état de Saint-Sulpice – elle n’est hélas pas la seule – la négligence de l’Etat est certes en cause, mais que dire du clergé? De son inculture, sinon de son incurie – on le voit ici aussi, en Suisse. Qui «installe avec rage des panneaux de toile de jute sur pieds montrant ‘l’équipe paroissiale et ses différentes composantes’ – là réside la vraie joie architecturale et ornementale des prêtres et des religieuses, avec les plantes vertes en plastique – et de hideuses guérites transparentes intitulées ‘accueil’ où, évidemment, il ne vient personne... » Ce qui a ému avec l’incendie de Notre-Dame, écrit encore Adrien Goetz, «c’est la conscience collective de la fragilité de notre rapport au passé. C’est ce qui a parlé à toute l’humanité.»
Dernier livre que j’aimerais évoquer ici, peut-être le plus émouvant, Notre-Dame de Paris Ô Reine de douleurs de Sylvain Tesson. Quiconque a lu Sur les chemins noirs (2016), magnifique récit de sa traversée de la France à pied, sait que son auteur a été victime d’un terrible accident en 2014. A la suite d’une chute alors qu’il escaladait la façade d’une maison en Savoie. Tesson est en effet un stégophile. Activité qui consiste à grimper sur les toits des édifices la nuit. Et tout spécialement ceux des cathédrales, dont bien évidemment Notre-Dame de Paris. «Péguy, écrit Tesson, nommait les cathédrales des vaisseaux de charge. Nous étions les gabiers de ces navires.» Une nuit, Tesson et ses camarades de cordée, rencontrèrent des compagnons qui travaillaient sous la toiture.«Lorsqu’ils surent que nous étions venus en amants du Grand Œuvre, il nous firent entrer dans la forêt.» La charpente de la cathédrale, celle-là même qui fut dévorée par les flammes. Pour l’écrivain, la fréquentation de Notre-Dame ne va heureusement pas s’arrêter avec son accident.
Après des mois d’hôpital, il parvient à remarcher; ses médecins lui parlent de rééducation. Mais «la perspective de passer des heures dans une salle de sport me démoralisait, raconte-t-il, et je considérai soudain qu’à une encablure de mon appartement il y avait la cathédrale. Le vaisseau de pierre était là, encalminé sur son île. Je n’avais qu’à monter en haut de ses tours pour retrouver mes forces.» Ce qu’il va entreprendre durant de longs mois – après quoi il accomplira sa traversée de l’Hexagone. «L’escalier s’ouvrait sur la coursive qui relie les deux tours, et c’était l’explosion de lumière. Je recevais la caresse du soleil comme une bénédiction (…) Ce n’était jamais la même vision, selon l’humeur du ciel. La ville, comme les effeuilleuses, se changeait sans cesse. La cathédrale, elle, assurait sa garde, imperturbable. Mais pas infaillible.»
C’est sur cette vision de Paris depuis les tours de Notre-Dame que je vous laisse. On se retrouve le 14 août. D’ici là, très bel été.
Ken Follet, Notre-Dame, Robert Laffont, 2019
Adrien Goetz, Notre-Dame de l’humanité, Grasset, 2019
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