Culture / Le goût du clinquant comme unique compétence
La romancière et nouvelliste Annik Mahaim propose, avec son recueil intitulé «Pas de souci», un florilège de destins individuels comme autant d’illustrations à peine exagérées d’un monde (du travail, mais pas seulement) où l’absurde règne en maître. À quel point sommes-nous prêts à nous écarter de nous-mêmes pour briller en société? questionne-t-elle à travers la nouvelle qui a pour titre «Le syndrome de Lies».
Avec le recueil Pas de souci, paru aux éditions Plaisir de lire en 2015, la romancière et nouvelliste Annik Mahaim nous offre un savoureux condensé de dysfonctionnements propres à notre société moderne en général et au monde du travail en particulier. Dans RH interne 5678, une employée pleine de bonne volonté se démène pour tenter envers et contre tout d’accomplir son travail au plus près de sa conscience. Splendide caricature de la bureaucratie dans tout ce qu’elle a de plus déshumanisant.
Mais c’est Le syndrome de Lies qui m’a le plus interpellée. Annik Mahaim y met en scène, dans un style fluide et sans fioritures, la société de surconsommation et son pouvoir d’aliénation. Par un récit à la première personne, elle invite le lecteur dans la tête d’une narratrice qui n’existe que par et pour l’image qu’elle renvoie à la ronde. Épater la galerie, c’est sa raison d’être. Le shopping, l’unique activité susceptible de lui procurer de grands frissons. Sûre de son bon goût, elle écume les boutiques dans un état de fébrile euphorie. «Je raffole de ces moments quand, entrant dans un magasin inconnu, je me sens électrisée, presque en transe, en plein rêve, quand il y a là TOUT ce que je désire (…) Je fais durer le plaisir, je ne commence pas par examiner ce qui m’affriole, je contourne les rayons les plus ensorcelants, je me dirige d’abord vers les coins sombres, au fond du magasin, pour être sûre de ne rien rater (…)» La narratrice s’adonne à cette passion jusqu’à ce que des réactions physiques l’obligent à revoir son mode de vie. Son corps va-t-il l’amener à une remise en question? Ce serait trop simple et pas assez grinçant pour Annik Mahain dont la force est de donner à voir les mécanismes et les dérives de notre époque sans jamais chercher à les expliquer. La narratrice va trouver à la fois la parade à ses maux et son alter ego dans la salle d’attente d’un cabinet médical. Elle découvre qu’elle souffre d’une affection assez répandue pour laquelle il existe un remède miracle. Remède que le praticien lui prescrit, avec les habituelles mises en garde…
Cette nouvelle, contrairement à celles où les protagonistes se débattent dans des univers kafkaïens pour conserver leur intégrité dans un monde qui broie de l’humain, illustre un esclavagisme volontaire, intégré aux valeurs des personnages. L’héroïne s’accommode parfaitement de l’idée que tout l’intérêt de sa personne tient à son pouvoir d’achat et à l’usage qu’elle en fait. Rendant par là la guérison d’autant plus improbable.
Annik Mahaim, Pas de souci, Plaisir de lire, 2015.
A lire également:
Un livre qui incendie les boyaux... comme la faim - Sabine Dormond
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Tantale53 02.04.2019 | 19h29
«Excellent article. Le roman suivant "La Femme en rouge" est à lire absolument. »