Culture / «Lendemains incertains»: la fin pourra-t-elle jamais justifier les moyens?
La question ne semble plus titiller grand monde à notre époque. La faute peut-être au flot incessant d’images laides et privées de sens auquel nous sommes confrontés en permanence. Ce torrent de médiocrité, généré par la télévision et colporté ad nauseam par les réseaux sociaux jusqu’à corrompre le cinéma, paraissant à même d’anesthésier tout esprit critique chez le spectateur. Pourtant, cette question s’avère toujours aussi cruciale, pour ne pas dire plus que jamais. La vision de «Lendemains incertains» du Burundais Eddy Munyaneza m’en a encore une fois convaincu: malgré toute la bonne volonté du monde, peut-on réellement réaliser un film honnête en usant de procédés cinématographiques malhonnêtes?
En regardant la bande-annonce de Lendemains incertains, on s’attend à assister à un documentaire sur les émeutes de 2015 (et leur sanglante répression) qu’avait engendrées la volonté de Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat à la présidence du Burundi. En lisant les intertitres, notre cœur se sert rien qu’à imaginer la famille du malheureux réalisateur arrachée à son affection par la violence de l’État. Mais au final, que voit-on? Une pataude vidéo familiale, mal ficelée et pleurnicheuse, en complet porte-à-faux avec l’idée qu’on s’en était faite.
Le réalisateur burundais Eddy Munyaneza. © DR
Déjà, ça commence mal...
Dès la première séquence, le ton est donné. Le réalisateur y brasse en voix off tous les thèmes à la mode: situation politique explosive faute d’un manque évident de démocratie, fierté nationale, douleur de l’exil et refus de l’oubli. De quoi faire bicher le public blanc des festivals. Et pour que l’adhésion du spectateur soit complète, le tout est mâtiné d’autofiction. Hélas, celle-ci est bien plus proche d’une Instagram-story que de tout autre chose... En outre, pour tenter de mêler sa petite histoire à la grande, Eddy Munyaneza a systématiquement recours à des images maladroites et à des procédés rabâchés. Ainsi, il cadre en gros plan un index sur le point de presser la touche de suppression du clavier de son ordinateur portable pour matérialiser l’oubli. Ou encore, comme dans un clip, il filme en accéléré les passants circulant autour de lui, tandis qu’il demeure immobile, ceci pour tenter de signifier tout le désarroi que lui occasionne son exil au Sénégal. Enfin, il n’hésite pas à truffer la bande sonore de son film d’extraits de bulletins d’informations. Un expédient presque aussi vieux que le cinéma parlant. Tellement rebattu d’ailleurs, qu’Amédée Pacôme Nkoulou n’a pas pu s’empêcher également de l’utiliser dans Boxing Libreville. Un autre (particulièrement mauvais) documenteur présenté cette année à «Cinémas d’Afrique».
Cela ne s’améliore hélas pas en cours de route...
Si l’on devine aisément les causes comme les conséquences de ces émeutes de 2015 au Burundi, les images-chocs (et il y en a!), ou encore les nombreux témoignages, ne sont jamais contrebalancés par une quelconque analyse sociopolitique pertinente élevant le niveau de réflexion du spectateur. Ce qui révèle un manque flagrant de rigueur intellectuelle comme cinématographique. Mais ce n’est pas la première fois qu’Eddy Munyaneza procède de cette manière. Dans son premier court-métrage, Histoire d’une haine manquée, le réalisateur burundais partait aussi de son vécu pour illustrer un événement historique. Et déjà il demeurait à la surface des faits, se contentant d’aligner les prises de paroles, sans proposer une grille de lecture permettant une vision d’ensemble du drame.
Mais le pire a bien été gardé pour la fin!
Le plus grave avec Lendemains incertains, c’est qu’en plus de ne pas creuser son sujet, Eddy Munyaneza nous ment. En effet, il laisse volontiers sous-entendre que c’est la barbarie exercée par le Pouvoir en place dans la répression des émeutes de 2015 qui l’a privé de ses enfants. Or, s’il n’est pas question ici de minimiser les exactions commises par le gouvernement de Pierre Nkurunziza, jusqu’à preuve du contraire, sa famille n’a pas été directement victime de la violence étatique. Sa femme s’est volontairement enfuie, en emportant leurs trois enfants avec elle, avant que celle-ci ne les atteigne. C’est donc un choix conscient de son épouse, désapprouvant l’engagement de son mari sur le terrain en tant que cameraman, qui les a tous séparés. La nuance peut paraître spécieuse. Elle est au contraire signifiante quant à la malhonnêteté intellectuelle autant que la propension à la victimisation qui sous-tend hélas tout le projet cinématographique d’Eddy Munyaneza.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Lagom 03.11.2018 | 12h44
«Il y avait quelques personnes qui comptaient aller voir ce film, mais avec votre critique ils vont changer de projets. Dommage, donnez-nous quelques raisons pour aller le voir quitte à pester après. Si l'oeuvre était sous la signature d'un grand cinéaste la critique serait plus nuancée je pense. »
@venanzi 10.11.2018 | 13h52
«Au lieu de me remercier... :-)
Il y a en effet tellement de choses mieux à faire dans la vie que de voir un tel film. Par exemple passer du temps avec la ou les personnes qu'on aime ou lire un bon livre. Je vous recommande d'ailleurs, pour rester en Afrique, ceux de E.B. Dongala.
Quant à votre dernière remarque, désolé de vous contredire, mais vous pensez fort mal. Allergique à toute forme de hiérarchie (sociale comme artistique) je ne sais absolument pas ce qu'est un "grand" cinéaste. Mon cinéaste préféré demeure d'ailleurs Jess Franco, c'est dire...
Merci en tout cas pour votre commentaire.
Amicalement,
Stéphane Venanzi »
@Lagom 10.01.2019 | 23h40
«Je viens de découvrir votre réponse 2 mois après !!!!
"Grand" est un adjectif que la presse associe aux cinéastes célèbres. Il ne désigne pas ici un grade hiérarchique.
S'agissant de feu Jess Franco, vous devriez avoir de bonnes raisons pour l'admirer, que la raison ne connaît pas.
Je vous présente mes sincères vœux pour une belle année 2019 ! Amicalement»