Actuel / Suicide assisté: les médecins veulent protéger les plus fragiles
Les médecins suisses entrent en dissidence avec l’Académie des sciences médicales sur le sujet de l’aide à la mort. Comment comprendre leur prise de position? Lecture.
Le clash historique annoncé* a eu lieu: fait rarissime, les représentants des médecins suisses (Chambre médicale de la FMH), réunis en assemblée le 25 octobre, ont refusé d’intégrer dans leur code de déontologie les nouvelles directives de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM). Sujet de la dissension: le suicide assisté.
Ce que les médecins affirment par ce vote, c’est que l’aide à mourir doit rester réservée aux personnes atteintes d’une maladie mortelle. Ils s’en tiennent donc à la notion de «fin de vie proche» qui leur paraît un garde-fou pertinent contre les dérives parce qu’il s’agit d’un critère objectif. Et ils rejettent la notion, par trop subjective, de «souffrance insupportable», introduite par les nouvelles directives de l’ASSM. En les adoptant en mai dernier, l’Académie a suivi la tendance amorcée, dans la pratique, par les association d’aide au suicide: aujourd’hui déjà, un tiers des personnes qu’elles aident à mourir ne sont pas mortellement malades. C’est cet élargissement aux «fatigués de la vie» que la Chambre médicale de la FMH a refusé de cautionner en votant «non» le 25 octobre.
Les forces en présence
Qui sont les acteurs de cette confrontation? L’ASSM est, avec l’Académie suisse des sciences naturelles, celle des sciences humaines et sociales et celle des sciences techniques, une des quatre grandes sociétés scientifiques suisses. Un aréopage d’universitaires qui se donne pour mission de penser l’évolution de la science et ses liens avec la société. La chambre médicale de la FMH, elle, est une assemblée représentative des praticiens suisses, de toutes régions, générations et spécialités.
Les théoriciens contre les gens terrain? Il y a probablement un peu de ça. Ce qui a motivé le vote de la Chambre médicale, explique Jean-Michel Matter, vice-président de la FMH, c’est «le souci de protéger les personnes les plus fragiles de notre société.» Les médecins confrontés aux demandes des candidats au suicide insistent en effet volontiers sur un point: dans la vraie vie, les «clients» de l’aide à mourir ne ressemblent pas aux brillants personnages qui développent dans les médias un discours puissant sur l’autodétermination. Ce sont, dans leur grande majorité, des vieux rongés de solitude et oubliés de tous au fond d’un EMS. Ils se sentent à la fois abandonnés et coupables d’être un poids pour leur famille. Les aider à se suicider est une réponse simple, vers laquelle nous sommes poussés par une puissante logique économique et sociétale. Mais c’est aussi une réponse «d’une très grande pauvreté pour une civilisation qui se targue d’être si avancée», affirme Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue médicale suisse.*
Priorité à la prévention
Le «non» de la FMH est à comprendre dans ce contexte. Il dit la volonté des médecins d’affirmer la priorité donnée à la prévention du suicide, pour les vieux comme pour les jeunes. Il dit que les praticiens, face à un patient qui demande leur caution pour partir avec Exit, estiment que leur rôle est d’abord de se demander d’où vient la demande et de tout faire pour le dissuader. «La question précise qui est posée au praticien dans ces cas-là est celle de la capacité de discernement du patient, explique Philippe Saegesser, médecin anesthésiste à l’hôpital Riviera Chablais et adversaire déclaré de l’extension de l’aide au suicide. On peut se borner à remplir les cases du questionnaire et affirmer que notre patient a effectivement sa capacité de discernement. Mais comment croire que cela suffit? Le suicide est la première cause de mortalité entre 20 et 25 ans: tous ces jeunes ont leur capacité de discernement!»
Pour Philippe Saegesser, le vote de la Chambre médicale de la FMH est un «bon signal» émis par la profession. Il exprime sa volonté d’accompagner des êtres humains et de débattre d’autre chose que des points Tarmed. Mais c’est aussi un signal fragile, au vu de la tournure prise par la formation des nouveaux praticiens: «On va vers des médecins techniciens, orientés prestations, dans le cadre d’une pratique de plus en plus protocolée et réductrice.»
Une médecine, par ailleurs, de moins en moins tentée par les excès qui ont motivé les débuts du suicide assisté: à l’hôpital, l’acharnement thérapeutique n’est plus à l’ordre du jour. C’est même le signal inverse qui est donné, note Philippe Saegesser, lorsque le patient est accueilli d’emblée avec deux questions: voulez-vous être réanimé? Et: voulez-vous donner vos organes? «Ces questions sont légitimes, il est bon de les poser. Mais pas avant toutes les autres!»
Que va-t-il se passer maintenant? La FMH souhaite «ouvrir le dialogue» avec l’ASSM en vue de «trouver une solution raisonnable», dit Jean-Michel Matter. En clair, l’Académie est invitée à revoir sa copie pour édicter des directives acceptables par les médecins. Si elle ne le fait pas, les plus embarrassés seront les juges: comme la loi suisse ne dit pratiquement rien sur le suicide assisté, c’est vers les règles d’éthique et de déontologie médicale que le droit se tourne lorsqu’il doit trancher un cas litigieux.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Lagom 30.10.2018 | 20h37
«Problème de grandes complexités, à tous les niveaux sans doute. Si le point de vue de l'Académie passe, cela ouvrira la porte par exemple à des assureurs, de garantir le paiement d'une rente de vieillesse jusqu'à un certain âge, contre l'engagement de l'assuré "de partir" au jour convenu, puisque sa liberté serait totale. Je pense que le rôle éthique et indiscutable de la société serait de donner raison aux médecins, quitte à ce que chacun fasse ce qu'il veut dans la pratique !!!! Il y a des principes à défendre sans lesquels la fragilisation ira crescendo jusqu'à l'auto-destruction.»