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Actuel / La Chine nous menace-t-elle?

Jacques Pilet

23 octobre 2018

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Elle s’affirme comme la grande puissance du siècle. Elle est partout dans le monde. Avec ses projets et ses milliards. Et un modèle qui marche, l’hyper-capitalisme dans le totalitarisme. Deux amis se sont dit qu’il fallait y réfléchir, Thomas Held, sociologue, et Peter Köppel, communicant, ex-prof de littérature française. Nous nous sommes retrouvés, une quinzaine de personnes d’horizons divers, plus ou moins averties, dans la vieille ville de Berne pour en parler. En mêlant le français et l’allemand. Un moment privilégié d’helvétitude.



Pour corser le tout, Peter Köppel, esprit curieux et critique, avait souhaité que l’on aborde aussi la question de l’intelligence artificielle. Avec deux sommités du domaine. Rien à voir? Apparemment. On s’est rendu compte que les deux sujets pouvaient se rencontrer. 

Le grand sinologue Harro von Senger suit depuis des décennies tous les discours chinois. Il en conclut que la Chine ne veut pas conquérir la planète, que ses dirigeants sont obsédés par la politique intérieure, leur souci de se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Il leur faut pour cela assurer les approvisionnements en allant partout dans le monde. Ils savent ruser, dire ce qu’il faut à leurs interlocuteurs étrangers, et surtout garder le cap. Que face à eux, les Européens soient souvent naïfs, c’est l’évidence. 

Le journaliste franco-suisse Hauter qui fut longtemps correspondant en Chine pour le Figaro ne contredit pas cette vision mais souligne que ce puissant pays a connu des temps où subsistait un certain espace de débats, ce n’est plus le cas. Sous la présidence de Xi Jiping, tout au culte de sa personnalité, le totalitarisme est accompli. Le budget de la sécurité intérieure est deux fois plus élevé que celui de la défense. La surveillance des individus a atteint un degré extrême jamais égalé dans l’histoire. Et c’est là que les experts de l’intelligence artificielle ont beaucoup à nous apprendre.

Le jeune professeur d’informatique de l’université de Fribourg, Philippe Cudré-Mauroux, faisait partie du dernier voyage du conseiller fédéral Schneider-Amman en Chine. Il a été frappé par la visite d’une start-up géante – elle vient d’engager 500 pointures! – qui applique l’intelligence artificielle à l’observation des foules. Pour reconnaître tous les visages, c’est élémentaire, mais aussi pour capter les mouvements, repérer les leaders, déceler les faiblesses. Le rêve de toutes les polices. L’outil va intéresser pas mal de pouvoirs. Quant aux méthodes d’espionnage économiques, les Chinois ne sont pas en reste. On peut tempêter contre les Russes trop curieux de nos affaires, mais fermer les yeux sur les intrusions électroniques chinoises, c’est être bien naïf.

Intelligence artificielle

L’autre sommité fribourgeoise, le professeur Beat Hilsbrunner, physicien et informaticien, donne des frissons quand il explique que l’empire des algorithmes, après sa fabuleuse extension, n’en est qu’à ses débuts. Il nous surprendra encore. A toute vitesse. Pour le pire et le meilleur. L’ébahissement devant la technologie ne mène pas loin. Le besoin d’une réflexion philosophique et politique s’impose sur ce pas de géant des performances humaines. Mais il est aussi rassurant. Les robots les plus perfectionnés sont imbattables sur le créneau qui leur est attribué mais désemparés dès que l’angle de vision change, quand la demande se déplace. On est très, très loin de l’extraordinaire mobilité du cerveau. Et de sa créativité. 

Pour en revenir à la Chine, risquons une conclusion. S’interroger sur la pertinence de ses investissements dans nos parages, c’est légitime et nécessaire. L’Allemagne se montre vigilante à cet égard et bloque les achats d’entreprises à intérêt stratégique (la distribution de l’électricité par exemple). La Suisse, elle, se montre encore candide. Mais le plus important n’est pas là. Nous devons voir la réalité en face : une grande puissance diffuse, sans le dire, un modèle dressé contre la démocratie. Cela plaît à bien des gouvernements eux aussi totalitaires. Si nous voulons défendre nos propres convictions – à commencer par le respect de l’individu – il s’agit de les réaffirmer haut et fort, partout, ici et ailleurs, face à tous nos partenaires. Et puis ouvrir les yeux sur cette partie névralgique du monde. La Chine est aussi une puissance militaire considérable. Le risque qu’elle fait peser sur Taiwan, cette intolérable provocation démocratique pour Pékin, pourrait bien troubler un jour nos aimables palabres avec l’habile Xi Jiping. Lui adresser des leçons de morale démocratique est grotesque. Les Chinois n’ont pas oublié les horreurs qu’Européens et Japonais lui ont fait subir dans le passé. Ils prennent leur revanche sans le proclamer. L’heure, pour nous, n’est pas au prêchi-prêcha mais à la ferme défense de nos intérêts et de nos démocraties.

Qu’on le veuille ou non, nous sommes dans un affrontement de civilisations. Il en est une, étatsunienne, qui nous envahit déjà avec toute la puissance des Google, Amazon et compagnie, intrusifs jusque dans notre intimité et notre vie politique, sans parler du pillage économique que ces pieuvres pratiquent. Il en est une autre, d’avenir, qui se pointe à l’horizon. Résistons. Nos moyens sont faibles du fait des divisions européennes, mais ils existent. Surtout dans nos têtes citoyennes si nous le voulons. 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@muche 27.10.2018 | 18h12

«A Pekin en mai, pour une découverte et un cours d'aquarelle avec carnet de voyage, je n'ai rien remarqué de particulier, mais mon amie a noté un nombre impressionnant de caméras de surveillance: la population est sous contrôle.»


@pa.nemitz 29.10.2018 | 10h20

«Braves Helvètes sommes-nous conscients du contenu des contrats de libre-échange passés avec de grands pays ? Une émission de d'Histoire Vivante de la TSR a démontré ce que des multinationales peuvent exiger d'Etats qui veulent défendre les intérêts de leurs citoyens, leur environnement etc. Les traités internationaux contiennent des clauses garantissant la couverture des investissements étrangers dans le pays et tout empêchement à l'exploitation de l'investissement sera soumis à un tribunal arbitral hors de tout contrôle étatique? Combien de contrats de ce genre la Suisse a-t-elle signés? Autre exemple la vente de Synginta à un groupe Chinois sans se soucier de l'intérêt pour notre pays que représente la perte de contrôle de cette entreprise. Pauvre Schneider-Ammann pour qui le droit des actionnaires prime l'intérêt national. Notre pays est petit et nos concitoyens ignorent les risques encourus de par notre mercantilisme effréné. La chute pourrait être brutale.»


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