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Actuel / Le mythe trompeur de l’autarcie

Jacques Pilet

28 août 2018

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L’initiative soumise au peuple vise «la souveraineté alimentaire» de la Suisse: en dressant des barrières douanières aux importations; en multipliant les exploitations agricoles indigènes. Le Conseil fédéral la combat. A raison. On est là dans en plein rêve «bobo-écolo». Tournant le dos à la réalité: ce pays n’a jamais été autonome pour son alimentation. Même pendant la Seconde Guerre mondiale. Et pourquoi diable se priver de produits étrangers de qualité? La mode est au protectionnisme. Dans sa version helvétique, il a un parfum d’isolationnisme. Ouvrirons-nous les yeux?



Lorsqu’il apparut que la Suisse allaitse trouver bien seule au milieu de pays en guerre, dès 1940, ce fut le grand branle-bas. Le conseiller fédéral Friedrich Traugott Wahlen lança le plan qui porte son nom. Inspiré par l’expérience fasciste en Italie, il préconisa de planter pommes de terre et céréales partout où c’était possible: dans les prairies, les jardins publics… Ce fut fait. Avec un succès tout relatif. L’alimentation était produite dans le pays à 52% des besoins avant l’opération, cette part monta à 59%. Elle est aujourd’hui à 50%, en dépit de la drastique diminution du nombre des exploitations. Et le reste? Il fut importé. Pour ce faire, en 1941, le Conseil fédéral créa la marine marchande suisse qui existe aujourd’hui encore. Des cargos immatriculés à Bâle qui voguent dans tous les océans. Le pari était audacieux. Pour faire venir leurs chargements de denrées alimentaires et de charbon, il fallait négocier avec les Alliés pour qu’ils les laissent passer sans encombre, et avec les Allemands pour que les chargements puissent être débarqués et acheminés depuis les ports de France et de Hollande occupées ou d’Italie. Les diplomates négocièrent sans relâche avec un talent remarquable et parvinrent à leurs fins. La Suisse put ainsi s’approvisionner en céréales, en huiles, en sucre, en viande provenant principalement d’Amérique du Sud… et de Grande-Bretagne dont l’empire fournissait de nombreuses denrées. 

Cette vision d’un pays qui vit de ses gentils paysans et peut bouder les agriculteurs du proche voisinage ou d’outre-mer est donc complètement irréaliste. Et pas souhaitable. Qui veut se priver des fruits et légumes français, italiens ou espagnols? Sont-ils vraiment moins bons que les nôtres? Les tomates cultivées hors-sol sous serre à Genève sont-elles plus goûteuses que celles qui nous viennent du sud? A voir! Le sucre produit dans la Broye (par des ouvriers eux-mêmes importés de l’est!) est-il préférable à celui du Brésil? Pardonnez à ceux qui préfèrent le bœuf argentin des grandes prairies à celui de tant de fermes suisses où il est gavé d’aliments industriels.

Si cette initiative est adoptée (75% des Suisses disent aujourd’hui y être favorables!) et si elle est mise en œuvre, le résultat sera clair: une hausse des prix. Ils sont déjà sensiblement plus élevés qu’outre-frontière. Et l’on veut en rajouter une couche? En prime, nous irions vers une sérieuse brouille avec les pays auxquels nous sommes liés par des accords bilatéraux ou européens. On demanderait donc aux Sud-Américains d’accepter tous nos produits industrialisés sans droits de douane et on refuserait les denrées qu’ils peuvent produire grâce à une nature généreuse? Absurde. Quant à la multiplication des exploitations chez nous, elle pose au moins deux problèmes. Y a-t-il vraiment des milliers de candidats pour se lancer dans la vie à la ferme? Et à quels coûts cela se ferait-il? A coups de subventions? Elles s’élèvent déjà à 3,5 milliards de francs? Allons-y pour quelques milliards de plus?

Et la qualité, direz-vous? Il existe déjà une foule de normes, européennes et suisses, pour agréer les produits agricoles. Elles peuvent encore être améliorées. Mais cessons de croire, comme par réflexe, que les aliments étrangers sont pourris et les nôtres parfaits. La mythologie nationaliste, qu’elle soit verte, rose ou d’une autre couleur, nous enferme dans le déni de réalité.



VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

5 Commentaires

@1263Crassier 28.08.2018 | 22h26

«Pourquoi être aussi simpliste, réducteur et hargneux? Discutez, avancez des arguments, pas des vérités dignes du café du commerce, fut-il celui de la Berne fédérale! La souveraineté alimentaire est certainement une utopie, mais sa visée peut être intéressante. Vous parler du sucre d'Aarberg! mais maintenant ce n'est plus CFF Cargo qui s'en occupe, mais une firme allemande de camionneurs qui veut récolter les betteraves un mois et demi plus tôt que d'habitude. Ça ce n'est même pas de la souveraineté, c'est une visée purement économique. Et le jour où la récolte de betteraves sucrières est faramineuse, on se dépêche d'en importer pour faire baisser le prix. La paysannerie suisse ne pourra jamais, avec sa façon de faire - trop petits domaines - concurrencer l'étranger et subvenir aux besoins intérieurs. Mais cela ne veut pas dire qu'ils ne servent à presque rien, qu'ils sont simplement courageux, mais on peut s'en passer. Cette initiative n'est pas qu'économique. Elle engage aussi des problèmes de sociétés, de réflexion quant à notre nourriture, et surtout notre consommation. Un peu de hauteur et de distance svp.»


@Lagom 31.08.2018 | 16h34

«Le monde agricole est soutenu massivement par le Conseil fédéral et le peuple et cela ne va pas changer. Cependant, de l'aveu même de M. Cuche sur infrarouge, qui défendait les 2 initiatives, l'alimentation risque de devenir plus cher. Rien que pour le pain; le surcoût serait selon lui d'environ 100 fr. par an pour une famille de 4 personnes, ce qui donne la tendance pour tout le reste. Des centaines de milliers de nos concitoyens et des résidents jouent les équilibristes avec leurs budgets pour ne pas tomber dans la mendicité. D'où est-ce qu'ils vont chercher les 2 ou 3 mille francs de plus par an pour s'alimenter? Les verts doivent faire avancer les choses avec des idées neuves et de jouer les lobbyistes, mais il n'est pas de leur rôle de planter 2 couteaux dans la constitution qui mettraient à mal nos accords à l'international, et de bouleverser l'existence de milliers de personnes en Suisse avec la cherté annoncée. Un peu de hauteur est nécessaire mais le réalisme est indispensable.»


@Daniel P 01.09.2018 | 16h36

«Les marges sur les produits agricoles importés sont tellement juteuses que les supermarchés et les quelques importateurs autorisés ont intérêt à diminuer la part d'aliments produits en Suisse. On en vient même à limiter les contrats de production aux producteurs suisses pour pourvoir importer plus! Les deux initiatives, si elles sont acceptées, vont encore limiter la production indigène par de nouvelles contraintes pseudo-écologiques et augmenter les prix de l'alimentation en ajoutant des taxes sur les importations. Cela permettra aux importateurs, qui ne sont pas les agriculteurs, d'augmenter leurs profits sur le dos du consommateur. Le revenu des agriculteurs baissera car les volumes produits vont diminuer et la nourriture sera plus chère. A part les nombreux fonctionnaires qui seront engagés pour contrôler tout ça, tout le monde est perdant.
Il faut aussi malheureusement relever l'incohérence des gens qui ne consomment pas comme ils votent! Il veulent des produits haut de gamme en Suisse, mais font leurs courses à l'étranger... et là on ne veut pas de taxes.
Il faut rejeter ces deux initiatives et supporter une agriculture performante qui puisse continuer de nourrir au moins la moitié de la population suisse avec des produits de qualité. Merci.»


@bouboule 01.09.2018 | 20h51

«regardons un peu le paysage: en Suisse il y a beaucoup trop de maïs, de prairies artificielles en plaine et de betteraves à sucre. OK pour l'herbe en montagne, on ne peut rien y cultiver d'autre...
Maïs et herbe servent à nourrir le bétail, ce qui occasionne une grande perte d'energie, quant au sucre, on en met trop partout (sodas, yoghurt, petits gâteaux, etc)
L'initiative pourrait servir à transformer les pratiques agricoles, moins d'intrants, plus d'arbres, de haies, des sols plus vivants, plus de légumes, de pois, de lentilles , voilà ce qu'il nous faut
... et si les lentilles ça fait péter, alors, on va rigoler en plus !
Nous sommes riches, nous pouvons tenter l'expérience, et si ça ne marche pas revenons au pot de Nutella !
»


@frederic.brand 08.09.2018 | 19h22

«Je me permet de rectifier deux affirmations « agronomiques ». Depuis l’apparition au siècle passé des graines mono germes, les ouvriers « de l’est » ont quitté nos champ de betteraves de la Broye. La culture de la betterave sucrière est très mechanisée et c’est le patron ou du personnel qualifié (qui peut provenir de l’est mais c’est très rare) qui prépare le lit de semence, sème ou arrache la betterave. Le bœuf argentin « des prairies » passent les derniers mois de sa vie dans des écuries où il est nourrit avec des aliments « industriels ».
J’apprécie la posture critique par rapport au mythe de la souveraineté alimentaire. Dans certains pays, notamment africains, la souveraineté alimentaire ou plutôt le faible degré de souveraineté alimentaire n’est pas un mythe mais une menace permanente. Dans ce contexte, le terme de souveraineté alimentaire est une réalité totalement différente que pour les pays à fort pouvoir d’achat comme la Suisse. »


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