Culture / Quentin Dupieux, la consécration
A tout juste 50 ans, le phénomène du cinéma français s'est vu invité à présenter «Le Deuxième acte» en ouverture du Festival de Cannes. Quelques mois seulement après la sortie de son «Daaaaaali!», dévoilé quant à lui à Venise, une nouvelle preuve d'un gain de notoriété amplement mérité. Car ce (méta)film est à nouveau brillant, avec ses stars qui n'hésitent pas à jouer la carte de l'autodérison.
Etonnant parcours que celui de Quentin Dupieux! Faut-il donc prendre au sérieux ce gugusse venu de la musique électro (sous le pseudonyme de Mr. Oizo) et qui signe aujourd'hui à la chaîne des comédies non-sensiques qu'on pourrait presque croire bricolées dans son jardin? On avouera ne lui avoir guère prêté attention à la sortie de Steak (2007, film Canal+ avec Eric et Ramzy) et même à Cannes en 2010, lorsque la Semaine de la Critique annonçait Rubber, film no budget avec une histoire de pneu tueur en Californie. Mais notre snobisme n'a pas tardé à en prendre un coup à la découverte de ce génial «métafilm» minimaliste, bientôt suivi par des variations aussi inspirées que Reality, Le Daim ou Fumer fait tousser. Au point qu'avec ce 14èmee long-métrage en 22 ans, on est prêt à affirmer que Dupneu – pardon, Dupieux – est sûrement l'une des meilleures choses qui soient arrivées au cinéma français en ce début de XXIème siècle!
L'apparition tardive de cet auteur incontestable en sélection officielle cannoise avec Le Deuxième acte est évidemment paradoxale. Pour cela, il aura fallu que des acteurs de plus en plus renommés s'aperçoivent de son existence et du plaisir qu'il y a à jouer ses partitions délirantes, même en renonçant pour cela à leurs cachets usuels. Après Alain Chabat, Benoît Poelvoorde ou Jean Dujardin, et côté féminin, Anaïs Demoustier, Adèle Haenel ou Adèle Exarchopoulos, ce sont cette fois des «pointures» telles que Louis Garrel, Vincent Lindon et Léa Seydoux qui pointent au générique – soit autant d'habitués des montées des marches cannoises. CQFD? Reste que le film lui-même est du Dupieux pur jus (aussi surréaliste que platement filmé, avec précision) et même du meilleur cru (aussi hilarant que réfléchi, voire profond). Derrière la bonne blague, on y trouvera en effet l'exposé le plus malin qui soit de l'état présent et même de l'avenir du 7ème art.
Vanitas vanitatis
Malgré le succès public au goût d'inachevé de Yannick l'an dernier et la présence à nouveau de l'impayable Raphaël Quenard, Le Deuxième acte n'a rien d'une suite de cette mise en abyme théâtrale. La brillante bande-annonce, dans laquelle les cinq comédiens se disputent la vedette du film au nom de leur personnage, annonce bien la couleur: il sera avant tout question de rôles, d'acteurs et de cinéma. Mais pas si vite, car tout commence avec un inconnu stressé (Manuel Guillot, solide barbu jusqu'ici cantonné aux utilités) qui vient ouvrir un restaurant isolé en rase campagne (c'est tourné en Dordogne). Viennent ensuite David (Garrel) et Willy (Quenard), deux amis qui discutent en marchant de la proposition du premier au second de le débarrasser de Florence, une fille amoureuse qu'il ressent comme un boulet. Or, de son côté, celle-ci (Seydoux) arrive à leur rendez-vous en compagnie de son père (Lindon), dans l'idée de lui présenter son «fiancé»...
Et c'est parti pour une petite comédie intimiste à la française, ou alors nettement mieux, un conte moral dans la lignée d'Eric Rohmer? Ni l'un ni l'autre, bien sûr! Car avant que tout le monde ne se retrouve au dit restaurant, chacun a déjà «dérapé», sortant de son rôle pour révéler l'acteur en plein tournage. En plan-séquence ininterrompu, même filmé sans la moindre attention à la lumière, l'exercice tient de la haute voltige. Dupieux s'y joue du politiquement correct post-#MeToo autant que de l'ego supposément démesuré de ses stars en regard des problèmes de la planète. Dans le rôle du fou imprévisible, Quenard met les pieds dans le plat en dévoilant la bisexualité de Garrel tandis que Lindon exulte en recevant «en direct» une proposition de Paul Thomas Anderson!
Dès qu'ils se retrouvent tous à table, le feu d'artifice continue en présence de Stéphane (Guillot), ce patron-figurant confronté à son premier rôle d'importance et dès lors incapable... de verser son vin sans trembler! Embarras surréaliste. Bientôt, le vieux briscard Lindon prend Quenard en grippe et ce dernier n'arrange pas les choses en tentant de séduire Seydoux aux WC, pendant que Garrel tente de calmer le jeu – le tout en essayant régulièrement de revenir à leur texte, sans même parler des réactions de quidams médusés. Et Dupieux d'en rajouter encore une couche en révélant cet improbable tournage dirigé par... une intelligence artificielle: une première qui risque de bientôt changer la donne!
La liberté de l'intelligence
Inutile d'en raconter plus. A sa manière typiquement low tech et discursive, Le Deuxième acte (c'est le nom du restaurant) s'avère à nouveau brillant. En tirant cette fois parti de la célébrité de ses comédiens, Quentin Dupieux dit toutes les vanités d'un cinéma qui commence à se sentir dépassé dans un monde menacé par le chaos. Ce n'est pas vraiment politique (à la différence des films du tandem Delépine et Kervern) et, pour l'essentiel basé sur le dialogue, ce n'est pas hautement visuel (au contraire de ceux de Michel Gondry). Mais son anarcho-surréalisme fait mouche, qui démystifie l'argent comme l'ego, le progrès comme le succès, et le «wokisme» aussi bien que le suivisme. Des maux qui nous affectent tous.
Avec une double mort comme point d'orgue et les rails d'un interminable travelling arrière (au son d'une harpe jazz) en guise de recul final, le cinéaste posera encore plus clairement la question des limites du jeu et du réel, de la modernité et de la post-modernité. Dupieux, fils spirituel de Godard, un peu comme le Radu Jude du décapant N'attendez pas trop de la fin du monde? Certains n'y verront sans doute qu'une nouvelle pochade, et pourtant, il y a là plus d'art et d'intelligence que dans 95% du cinéma actuel. Une manière parfaitement originale d'en faire sans en être vraiment, d'inviter à la réfexion tout en s'amusant, de surfer en terrain miné grâce à l'arme suprême de l'absurde. Le tout avec une liberté épatante qu'on ne peut que lui envier. A quand une sélection en compétition?
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@stef 28.07.2024 | 14h09
«Très bonne idée, la bande-annonce »