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Chronique / Wiesel, un an après


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S'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.



Il y a un peu plus d’une année, le 2 juillet 2016, à New York, s’éteignait Elie Wiesel. Il avait quatre-vingt-sept ans. L’annonce de sa mort suscita une immense émotion. Car avec lui disparaissait l’un des grands témoins de la Shoah – déporté à quinze ans, en 1944, à Auschwitz puis à Buchenwald –, Wiesel vit périr ses parents et sa plus jeune sœur. Mais il n’était pas seulement ce survivant de l’horreur absolue; il était l’une des grandes figures morales de notre temps. Ce qui lui valut en 1986 le Prix Nobel de la Paix. Etrangement pourtant, le premier anniversaire de sa mort est passé quasi inaperçu.

Comme si évoquer cette «grande âme»  – le titre donné par le poète Tagore à Gandhi – dérangeait, heurtait en profondeur une certaine bonne conscience qui veut à toute force oublier. Or l’oubli, c’est justement ce contre quoi Wiesel n’a eu de cesse de s’élever. Ce pourquoi il s’est battu et a écrit. Car Wiesel fut aussi un très grand écrivain. Ainsi que le rappelle Michaël de Saint-Cheron dans le très beau livre qu’il lui consacre et qui vient donc à point nommé: Dialogues avec Elie Wiesel 1982-2012. L’ouvrage réunit une série d’entretiens réalisés avec l’auteur de La Nuit. Notamment à l’occasion du colloque de Cerisy-la-Salle que Michaël de Saint-Cheron lui avait consacré en 1995. Le livre est encore complété d’un essai très éclairant et pénétrant, intitulé Wiesel ce méconnu. Avec toute l’empathie, la fraternité qui est la sienne, l’auteur brosse un portrait tout en nuance d’Elie Wiesel, qui, avec André Malraux et Emmanuel Levinas, compte parmi les maîtres jalonnant son propre parcours.

Ce qui n’exclut pas un regard parfois critique à l’égard du Prix Nobel de la Paix. Ainsi sur le plan humain, et qui peut expliquer, au moins partiellement, la désaffection dont souffre aujourd’hui Wiesel, «nombreux furent ses amis, explique de Saint-Cheron, frappés par l’asymétrie entre ses récits vibrants d’émotion, de tendresse mystique, de générosité intellectuelle, et ce qui peut paraître parfois chez lui comme de l’indifférence à l’égard d’autrui.

Wiesel et Mauriac

Il y a aussi certaines de ses prises de position qui ont pu heurter, à tout le moins déconcerter, touchant Israël, la guerre en Irak ou en Yougoslavie. Une forme d’intransigeance aussi au sujet du judaïsme, liée bien sûr à ce que Wiesel a traversé et qui s’est manifestée publiquement, en particulier à l’occasion de son dialogue télévisé avec le cardinal Jean-Marie Lustiger en septembre 1989, sur lequel revient longuement de Saint-Cheron. L’archevêque de Paris se réclamait à la fois de sa judaïté et du catholicisme, se définissant comme «juif accompli». Revendication évidemment inacceptable pour Wiesel, le christianisme, à ses yeux, ne pouvant en aucune manière représenter l’achèvement du judaïsme.

Au reste cette sorte de ligne de partage, ce tranchant comme le fil d’une épée, est présent chez le futur Prix Nobel de la Paix dès le début. En particulier, dès sa rencontre, qui fut décisive, avec François Mauriac en 1955. Rencontre qui manqua de tourner court. La comparaison établie par l’écrivain catholique entre la passion du Christ et les morts d’Auschwitz heurte alors profondément son visiteur. Et comme Wiesel quitte brusquement son hôte, celui-ci le rappelle, demande pardon. Ce moment, Mauriac le racontera dans l’un de ses Bloc-Notes. Mais surtout il préfacera le premier livre de Wiesel, La Nuit. Ce dont le jeune écrivain lui sera éternellement reconnaissant: «En me poussant à écrire, dira-t-il, il fit un acte de foi en l’écriture pour prouver peut-être que le dépassement est possible pour des hommes qui n’ont rien en commun, pas même la souffrance».


Michaël de Saint-Cheron, Dialogues avec Elie Wiesel 1982-2012, Parole et Silence, 2017

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