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Chronique

Chronique / «Voulez-vous vous asseoir, Monsieur?»

Gian Pozzy

19 juillet 2017

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Il y a quelques années, j’ai brutalement compris que je me faisais vieux. Bien sûr, ma chevelure grisonnait, mais je croyais que cela ne faisait qu’ajouter à mon charme. Jusqu’au jour où, à bord du bus No 9 qui m’emmenait à Lutry, la vérité crue m’a accablé pour la première fois.



A l’heure de pointe, la remorque était bondée – comme il se doit. J’étais debout – comme il se doit car au terme d’une journée assis devant des écrans ça fait sacrément du bien. Me voyant, un gamin de 12-13 ans se lève et me demande très poliment: «Voudriez-vous vous asseoir, Monsieur?» J’ai failli répondre: «De quoi je me mêle, petit malotru!», mais un reste d’éducation m’a incité à répondre plutôt: «Merci beaucoup, je préfère voyager debout.»

Sale petit morveux, va! N’empêche que quelques semaines plus tard, sur la même ligne, toujours à l’heure de pointe, une jeune femme enceinte croit prendre pitié de moi en me proposant son siège. Là, du coup, je ne me suis pas senti bien. Je fais donc tellement âgé? Mais non, mes cheveux ont juste encore un peu blanchi, c’est tout. Attendez, ce n’est pas fini: quelques semaines passent encore et un jeune Black (d’Afrique de l’Est?) se lève d’un bond et m’incite à m’asseoir dans un français aussi concis qu’approximatif. Ils le font exprès ou quoi? Pourquoi en ont-ils tous après moi?

Ces malencontreux épisodes ont levé le voile sur une réalité que je m’étais obstiné à occulter: je vieillis, je fais fragile, je suscite peut-être même la compassion. Après une lourde journée de boulot, je peux comprendre ma mine lasse, mais là ces jeunes touchent à ma dignité, ils me voient comme un débris! Désormais, je me retourne en tous sens dans le bus et je vérifie: oui, il y a plein de jeunes ados assis – éventuellement les pieds sur le siège d’en face et leur sac à dos sur celui d’à côté – tandis que des personnes âgées, branlantes, vacillantes, chancelantes s’agrippent de leur mieux à leur canne et aux appuis pour ne pas chuter au premier coup de frein du conducteur.

La morale est sauve: les djeun’s sont toujours aussi mal élevés et ceux qui m’ont offert leur siège étaient des «misfits», des inadaptés.


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