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Chronique

Chronique / Arrivée en terres agitées

Isabel Jan-Hess

13 août 2017

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Plongée dans un temps suspendu aux arrivées de l'aéroport de Genève, un samedi matin d'été.



Si Genève compte un certain nombre de lieux insolites, la palme revient incontestablement au hall d’arrivée de l’aéroport de Cointrin. Assurément le couloir plus cosmopolite et intergénérationnel du canton. Ici peu importe son rang social, sa fortune ou son origine. Tout le monde s’y croise, dans l’indifférence la plus totale de cette ruche en mouvement perpétuel. Seul compte, le moment ou sortira le passager qu’on est venu attendre. Personne n’est ici par hasard.


En ce samedi de vacances estivales, l’effervescence est à son comble. Depuis 6 heures, les rangs grossissent devant la sortie. On baille encore en déchiffrant distraitement la liste des arrivées sur l’écran. Des enfants courent pour occuper le temps, sautent à cheval sur la ligne rouge. Un néon de démarcation, respecté en bonne discipline helvétique par les visiteurs du jour s’agglutinant derrière, sans y risquer un orteil. La séparation est droite, nette. Seuls les voyageurs sont autorisés à franchir cette frontière virtuelle.

La solitude de l’attente

L’espace «Arrivée» de l’aéroport rassemble toutes les émotions. L’inquiétude des yeux rivés à l’écran passe au soulagement lorsque le mot «landed» clignote. L’impatience des retrouvailles des uns côtoie les interrogations de ceux tergiversant entre fuir dans la seconde ou affronter cet ancien amant dont on ne sait plus grand chose. On y sent indifféremment la joie du retour attendu, la peur de l’inconnu ou la tristesse d’avoir laissé des êtres chers au bord d’un tarmac lointain.

Les souvenirs défilent dans la solitude de l’attente. Le brouhaha n’interfère pas dans les pensées, pas même les cris de joie scellant les retrouvailles d’une famille. Un homme, jeune, arrive en courant, un bouquet de fleur à la main. Des enfants, sans doute réveillés tôt, s’endorment sur des valises. Des Asiatiques se regroupent devant la sortie, pour une photo de leur arrivée à Genève. Le contraste est marqué entre les arrivants d’un ailleurs fantasmé et ceux qui n’ont vu les étoiles que de Genève.

Sur les écrans, on annonce le feu d’artifice du soir, l’événement estival et commercial de la capitale diplomatique de Suisse. Mais personne ne le regarde. Comme dans un match de tennis, les yeux clignent de droite à gauche, dans un ballet rythmé par les sorties.

Au fil des secondes son visage se crispe

Une femme installée dans une chaise roulante déboule de la porte de droite, escortée par un agent au sol. Ils longent la foule; elle cherche, en vain, celui ou celle qui doit l’accueillir. Au fil des secondes son visage se crispe. Personne. L’inquiétude se lit dans ses yeux. Elle ne semble pas parler français, seule en terre inconnue.

Des passagers se bousculent en poussant des chariots débordant de bric et de broc. Des valises cassées, des poussettes pliées, des meubles sous cellophane. L’un d’eux est si rempli qu’on ne voit plus la silhouette de la femme qui le guide. Elle n’est plus toute jeune, fatiguée sous son voile et sa robe noire, elle suit les hommes qui ouvrent le chemin dans la foule. Leur austérité contraste avec la joie des retrouvailles d’une famille, sortie du même vol. Un petit garçon court et saute au cou d’une grand-mère qu’il ne veut plus lâcher.

Le bal des pancartes

L’homme au bouquet attend toujours, stoïque, il fait les cent pas. Plusieurs grandes familles du Golfe débarquent, bijoux et vêtement de luxe ostensiblement affichés. Ils sont immédiatement rejoints par des chauffeurs privés et dirigés vers la sortie. Un petit garçon pleure, sa glace s’est renversée sur le sol.

Les «Arrivées» c’est aussi le bal des pancartes, plus ou moins excentriques. Deux hommes placés au centre, bien en vue arborent un grand panneau «Bienvenue jours» avec des drapeaux suisses et américains. Des jeunes brandissent «Camp suisse» à chaque passage.

Une rangée d’hommes en costume-cravate foncé attend à l’arrière, arborant chacun une petite ardoise avec ici le nom d’un hôtel, là celui d’une entreprise ou encore un patronyme. Ils s’empressent de saisir le bagage de leurs clients et s’éclipsent vers la sortie. Dans un coin, d’autres personnes guettent des passagers. Transporteurs légaux ou parfois illégaux, ils restent discrets. Souvent à l’affut des mouvements des patrouilles de police, dont la cadence des rondes n’étonne plus personne. Au contraire, ça rassure paraît-il….


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