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Chronique / Antimémoires, an 50


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S 'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.



Durant tout l’été 1967 la rumeur a enflé. André Malraux, le romancier de La Condition humaine, le combattant de la guerre d’Espagne, le chef de la Brigade Alsace-Lorraine, le ci-devant ministre d’Etat chargé des Affaires culturelles publie ses mémoires! De quoi alimenter les conversations. Car depuis ses essais sur l’art, au tournant des années 1940-50, l’écrivain n’a plus publié. Et beaucoup le croient alors perdu pour la littérature. Et pourtant, fin septembre, le ministre fait la couverture de Paris Match: «Les plus belles pages des Antimémoires. De Gaulle, Mao tse Toung (sic), le maquis». J’ai conservé ce numéro. Car je venais de découvrir Malraux au collège. Et comme cadeau de Noël, je recevrai le livre dans la Collection Soleil de Gallimard. Volume toujours en ma possession.


Paris Match, 30 septembre 1967 (coll. privée). © DR

C’est donc le titre, en forme de défi, que choisit Malraux pour se raconter. A dire vrai, pas tout à fait. «J’appelle ce livre Antimémoires parce qu’il répond à une question que les Mémoires ne posent pas, et ne répond pas à celles qu’il pose.» De quoi en décontenancer plus d’un. Le succès est néanmoins immédiat. «Les Antimémoires achetés 250’000 dollars par les Américains», titre Le Figaro en septembre. Mais ce que les lecteurs ignorent, c’est que l’écrivain revient de loin.

Depuis plusieurs années, Malraux a en effet sombré dans une profonde dépression. Au point que ses proches, dont le général de Gaulle, s’inquiètent. A propos de son action en tant que ministre, il répète: «Ce que je veux est fou, ce que je peux est nul.» Il est vrai qu’il aurait souhaité les Affaires étrangères. Mais l’on redoutait ses foucades. La cause de son mal-être, en réalité, est beaucoup plus profonde. En 1961, l’écrivain a perdu ses deux fils, Vincent et Gauthier, 18 et 21 ans, dans un accident de voiture. Disparitions qui s’ajoutent à celle de leur mère, Josette Clotis, en 1944, morte les jambes broyées par un train. De cette succession de tragédies, Malraux n’a jamais fait le deuil. Et le whisky, qu’il supporte mal, ne l’aide guère.

Des morceaux d'autofiction

C’est ainsi qu’en juin 1965, mis en congé, encouragé par De Gaulle, accompagné du fidèle Albert Beuret, l’écrivain embarque sur le paquebot Cambodge pour Hong Kong. Or à l’escale de Port-Saïd, ayant gagné Le Caire, face à la Grande Pyramide, voici que le miracle se produit; de retour dans sa cabine, il note fébrilement ses impressions. Le projet des Antimémoires est né. Malraux, dès lors, ne va plus cesser d’écrire. A Singapour, un télégramme le convie à Pékin. Ce qui n’était qu’une croisière d’agrément se mue en mission officielle. Et c’est la fameuse rencontre avec Mao. Le morceau de bravoure des Antimémoires. De cette conversation, il existe trois versions, celle de l’ambassade, celle des Chinois et la plus intéressante bien sûr, transfigurée par la plume de l’écrivain, celle de Malraux, qui dialogue d’égal à égal avec son hôte.



Retour de Malraux en France après sa visite à Mao Tsé Toung.

S’il fallait lire un seul ouvrage de Malraux, à bien des égards, ce serait les Antimémoires, tant il lui ressemble. Mêlant souvenirs réels et souvenirs rêvés, fragments de romans, réflexions sur l’art et l’histoire, Malraux, plus que jamais, brouille les cartes. La première partie, intitulée «Les Noyers de l’Altenburg», évocation du grand-père et du père de l’auteur, est reprise du roman éponyme, publié pendant la guerre. De même, la rencontre à Singapour avec Clappique, l’un des protagonistes de La Condition humaine, relève, elle-aussi, de l’imaginaire: «A gauche l’Inde, au nord le Siam, à droite la Chine et l’Indonésie…»  En fait, ce que Malraux invente là, c’est tout simplement l’autofiction. Il serait plus que temps de lui rendre cette paternité.

Le volume suivant, La Corde et les souris, est certes moins éblouissant, moins virtuose. Les deux tomes forment désormais ce qui s’appelle Le Miroir des Limbes. Titre bien moins génial que celui d’Antimémoires. D’une totale modernité, aujourd’hui encore, cinquante ans après.


André Malraux, Le Miroir des Limbes I Antimémoires, Gallimard «Collection Folio»

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