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Analyse / Pourquoi la transition énergétique est une chimère


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D'après le sens commun, il n'y a pas de doute: après les longs millénaires de l'âge du bois, l'humanité est entrée dans l'ère du charbon en 1800, puis dans celle de l'électricité et du pétrole en 1900 avant de passer à l'ère atomique en 1950 et enfin à l'ère des énergies renouvelables au début des années 2000. En attendant le passage annoncé à l'ère de l'hydrogène en 2050. Or rien n'est plus faux.



Savez-vous que la consommation mondiale de bois est passée de 2,5 milliards de tonnes en 1961 à 3,9 milliards en 2020? Que celle de charbon a pratiquement doublé entre 1960 et 2020, et qu'elle continue à augmenter malgré toutes les COP et autres billevesées sur la transition verte? Et qu'il en va de même pour le pétrole, le gaz et les autres sources d'énergie primaire classiques telles que l'hydraulique? Même le nucléaire tend à augmenter malgré les fermetures de centrales en Europe. Dans le mix énergétique global, 77% de l'énergie primaire vient du charbon, du pétrole et du gaz, l'éolien et le solaire fournissant moins de 5% du total.

Dans un livre très stimulant, l'historien des sciences et de l'environnement Jean-Baptiste Fressoz renouvelle l'histoire mondiale de l'énergie sans cacher la cendre sous le tapis. Il commence par démonter le «phasisme», à savoir cette manie de périodiser l'histoire humaine en étapes qui se succéderaient les unes aux autres. Dans la réalité de l'économie matérielle, il n'en est rien. 

L'apparition du charbon a eu pour conséquence de multiplier la consommation de bois, et non de la remplacer. Le besoin en bois de feu a légèrement diminué mais la consommation d'étais pour les mines et de poutrelles de chemin de fer a crû vertigineusement. Aujourd'hui le bois est toujours aussi prisé même si c'est à d'autres fins: fabrication de milliards de palettes et de millions de tonnes de cartons d'emballages et de papier, tandis que le bois de chauffage revient à la mode sous forme de pellets et de «biomasse».

Il en va de même pour les autres formes d'énergie primaire: le gaz sert à produire des engrais, le charbon à fabriquer du ciment et de l'acier, le pétrole divers plastiques, toutes productions qui explosent partout dans le monde, à défaut de finir dans les réservoirs des voitures, les chauffages centraux et les soutes des porte-containers. En ce sens, le passage au tout électrique n'est qu'une aimable plaisanterie. Derrière le vélo électrique se cache non pas un panneau solaire, mais une centrale à charbon et du pétrole de schiste.

La faute aux scientifiques qui ont pris l'habitude de montrer les évolutions passées et futures en volutes gracieuses, les fameuses «courbes en S», où l'on voit la consommation des différentes sources d'énergie décoller lentement, gonfler, atteindre un pic puis redescendre quand une nouvelle source apparait. Ou qui conçoivent des tableaux admirablement colorés additionnant les différentes catégories d'énergie dans le temps, mais sans mentionner les quantités consommées en chiffres absolus, lesquelles, elles, ne cessent de gonfler au fil des décennies.

A chaque début d'un nouveau cycle, le même miroir aux alouettes sert à apaiser les angoisses de pénurie énergétique et/ou de carbon(is)ation de la planète, les deux paniques ne s'excluant nullement. Hier, c'étaient les surrégénérateurs nucléaires qui devaient sauver la mise et nous éviter le retour à l'âge des cavernes. Des centaines de milliards y ont été engloutis en pure perte. Idem pour les carburants synthétiques à qui on prédisait un brillant avenir dans les années 1980 mais oubliés aujourd'hui. 

Le prochain miroir aux alouettes est déjà annoncé: l'hydrogène. La course aux subventions est lancée et les startups sont sur le pied de guerre. Pour un flop prévisible: étant donné les conditions de production de l'hydrogène, rare dans la nature et donc fabriqué avec de l'électricité issue de fossiles, et de son exploitation (l'hydrogène liquide doit être refroidi et conservé à -253 degrés), les chances d'en faire une source d'énergie primaire rentable et écologique sont quasi nulles.

En bon historien, l'auteur se garde de tomber dans la futurologie. Mais depuis que les recherches de Cesare Marchetti dans les années 1980 ont montré la prodigieuse inertie des systèmes énergétiques et la quasi-impossibilité de substituer une source d'énergie à une autre, le système capitaliste ne parvenant qu'à les additionner, ou au mieux à les stabiliser, les chances de parvenir à une transition énergétique, ou écologique comme on voudra, sont proches de zéro. 

Si l'on poursuit le raisonnement jusqu'au bout, cela signifie que les chances de contenir le réchauffement climatique et de décarboner l'économie mondiale sont elles aussi infimes, toutes les forces du système se conjuguant, au sein du GIEC et des autres instances énergétiques et climatiques, pour éviter toute mesure sérieuse en faisant miroiter des solutions technologiques – hydrogène, enfouissement du carbone, centrales solaires extraterrestres – aussi délirantes que futiles (car prodigieusement coûteuses en énergie cachée…) et justifier ainsi une procrastination qui risque de nous coûter d'autant plus cher qu'on aura trop tardé.

Conclusion toute personnelle: plutôt que de gaspiller nos forces à contrer le réchauffement climatique et à se battre pour savoir si son origine est d'ordre anthropique ou naturel; plutôt que de faire semblant de limiter les émissions de CO2 et de continuer à croire à d'impossibles transitions énergétiques, il serait temps d'accepter l'implacabilité des faits. Notre combat n'en sera que plus efficace et l'environnement nous en sera davantage reconnaissant.


«Sans transition. Une nouvelle histoire de l'énergie», Jean-Baptiste Fressoz, Editions du Seuil, 416 pages.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

13 Commentaires

@knud 02.02.2024 | 07h33

«Oh que tout cela est vrai. Et notamment la phobie du réchauffement climatique, dont quantité d'études montrent que celui-ci fait partie des cycles naturels de tous les temps... L'impact de nos activités est insignifiant. Et d'autre part, il n'y a jamais de considération sur les bienfaits de ce réchauffement : principalement un accroissement notable de la végétation et des cultures qui se régalent du CO2.»


@willoft 02.02.2024 | 09h22

«Je partage votre constat sur l'augmentation des énergies fossiles et j'y inclus le nucléaire qui a besoin d'uranium.

Appréciant souvent vos analyses géopoliques, j'ai en revanche l'impression ici d'un papier confus, type "ni oui ni non, bien au contraire" donnant même du foin aux ânes qui pensent encore que le dérèglement climatique est une bonne chose...!
Quid de la diversité biologique, des migrants climatiques, des problèmes acufères, etc.,?»


@Ded 02.02.2024 | 10h28

«@Ded
Aussi longtemps que nos principes économiques resteront basés sur la croissance (donc l’augmentation continue de la consommation soutenue par la publicité) et son critère le BIP (qui ne prend pas en compte les valeurs sociétales non monnayables) pour juger de son évolution, les besoins en énergies ne feront qu’augmenter inexorablement. Et nous continuerons à checher le bonheur par l’acquisition de biens matériels en négligeant les besoins essentiels du cœur et de l’ame. »


@Jperd 02.02.2024 | 11h38

«Voila un article qui me semble un vrai déni de la réalité. Ce qui est dit (les faits) est en grande partie vrai, mais l'éclairage et les conclusions sont pour tout scientifique totalement erronées. Un exemple, l'augmentation du CO2 (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mission_de_dioxyde_de_carbone). L'augmentation du CO2 est exponentielle (le passé) mais pas inéluctable (le future). Aucune courbe d'évolution exponentielle ne peut continuer indéfiniment, ça casse avant d'une façon ou d'une autre, par exemple par une extinction de masse de l'humanité. Mais ce n'est pas inéluctable.
Dire "il serait temps d'accepter l'implacabilité des faits" implique que l'on ne peut rien faire. Il faudrait plutôt dire "il est temps de réagir", le problème à résoudre c'est comment. On a sur exploité notre planète et la meilleure énergie (et elle est non renouvelable) est celle que l'on utilise pas. Mais il ne faut surtout pas le mentionner car cela flanquerait la position du déni par terre.
Sinon on a toujours chercher des énergies de remplacement...si c'était un bon placement financier. Plus besoin d'énergie, le pétrole a permit cela car le charbon seul ne le pouvait pas à des prix compétitifs (extraction de plus en plus chère. Mais pas question de DIMINUER sa consommation, c'est pas bon pour le business. Conclusion : ne présenter que la face d'un problème qui convient à la conclusion que l'on veut est une tactique, mais en tous cas pas scientifique. Et il y a toujours quelqu'un pour profiter de cette tactique. »


@bonhotep 02.02.2024 | 13h39

«Merci pour ce point de vue, mais serait-il possible d'avoir la suite de l'article, avec les prises de positions sur les mesures à prendre?»


@Ded 02.02.2024 | 19h58

«@Ded à @Jperd
L’exemple du CO2 comme étant responsable de l’augmentation de la température n’est scientifiquement plus recevable: depuis 2000, les valeurs de température ne suivent plus du tout celles des concentration en CO2 comme cela était le cas durant les millénaires précédents. Ce décrochement peut s’expliquer par une saturation de l’absorption du rayonnement terrestre par le CO2. Il est néanmoins indiscutable que la teneur en CO2 de l’atmosphère continue de grimper par une consommation immodérée (chez nous) qu’il faut impérativement juguler (refuser, réduire, recycler…).»


@Colibri 02.02.2024 | 21h50

«Merci monsieur Mettan. Votre article m'a donné envie de lire cet ouvrage et je le fais passionnément!»


@Qovadis 04.02.2024 | 04h08

«Enfin quelqu’un qui voit le problème de la transition énergétique d’un point de vue global et sous une perspective historique. Merci Monsieur Mettan.
Toutefois l’effet de l’accroissement de la population est passé sous silence. Nous sommes trop nombreux sur cette planète, sujet qui fâche. Un parlementaire qui l’aborderait avant des élections est quasi certain de ne pas être réélu.
Je suis convaincu La solution du problème énergétique passe par l’éducation afin de faire décroître le taux de renouvellement des générations. Ça prendra du temps qui se mesurera en dizaines d’années. À moins d’une extinction de masse, que personne ne souhaite. »


@willoft 04.02.2024 | 16h59

«@quovadis
Vous avez raison d'évoquer la surpopulation.
Vous oubliez un facteur capital, l'Occident auquel on peut déjà associer les chinois et déjà l'Inde polluent à 90%.

Les émissions du "Sud" sont négligeables.
Et s'ils font beaucoup d'enfants, c'est leur caisse de retraite, ce que faisaient nos aïeux...!

Sinon, on peut s'interroger tel l'appel de Macron sur procréer des enfants au sang pur .
Ça rappelle des années douloureuses et malheureusement l'histoire se répète.»


@Qovadis 04.02.2024 | 21h37

«@willoft
Dans les années 1960 le club de Rome avait dit « Halte à la croissance » , mais aucune instance supranationale (l’ONU ?) n’a réussi à trouver comment faire pour stabiliser l’effectif de la population. Idéalement, il faudrait que les grandes nations, qui polluent le plus, s’autodisciplinent afin de décroître un peu. On peut toujours rêver…»


@Zag-Zig 05.02.2024 | 16h11

«Monsieur Mettan, votre conservatisme a pour moi un caractère profondément décevant si l'on considère qu'un conservateur est censé oeuvrer à la conservation du monde tel qu'il est dans le but de le transmettre au générations futures Or, la lecture de votre article me donne envie d'écouter "The butcher* de Léonard Cohen, "Anarchy in the UK" des Sex Pistols et "Dirt in the de
Ground" de Tom Waits. Ne serait-il pas possible de changer de disque pour le bien être de la société occidentale ?»


@Paulcs 07.02.2024 | 16h48

«Pas clair. De quel combat parlez vous dans votre conclusion? Y a-t-il un problème ou pas? »


@Christophe Mottiez 30.03.2024 | 09h57

«la consommation énergétique colossale dans le monde n'est pas le fait du capitalisme, mais du formidable développement technologique en cours depuis la révolution industrielle du 19ème siècle.
d'un point de vue environnemental, les pays communistes de l'époque soviétique, ou la chine et la russie d'aujourd'hui, ne font pas mieux que les pays dits capitalistes.

pour répondre au réchauffement ACCÉLÉRÉ du climat, un phénomène nouveau dont les conséquences pourraient être catastrophiques, jean-baptiste fressoz propose une décroissance matérielle; guy mettan, lui, propose de faire comme les autruches et de mettre la tête dans le sable…
»


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