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Analyse / La stratégie du choc de Donald Trump


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Le blocage des fonds de l’USAID, lundi dernier, a semé la panique chez les bénéficiaires de l’aide au développement américaine. Il illustre surtout de façon spectaculaire la méthode du «choc et de la stupeur» pratiquée par Trump. A l’inverse, Russes et Chinois semblent opter pour une approche plus souple, plus horizontale surtout. Reste maintenant à savoir quel camp sera le plus efficace.



C’est mal de se réjouir du malheur des autres mais vous me pardonnerez ce bref moment de schadenfreude: depuis le blocage des fonds de l’USAID et la mise au repos forcée de ses 10 000 fonctionnaires lundi dernier, c’est la panique chez les profiteurs de l’aide au développement américaine. En Géorgie, en Moldavie, chez les opposants russes, biélorusses, serbes ou vénézuéliens, et dans la centaine de pays généreusement arrosés par les quarante milliards de dollars de dotation annuelle pour y faire avancer l’agenda wokiste ou y fomenter des révolutions de couleur, l’angoisse a subitement changé de camp.

Car il y a belle lurette que l’USAID ne promeut plus le développement des peuples déshérités mais sert de couverture à l’agenda politique des élites au pouvoir à Washington. Pour qui se souvient des propos de l’ancienne Secrétaire d’Etat adjointe Victoria Nuland avouant que les Etats-Unis avaient investi cinq milliards de dollars pour y provoquer la révolution de Maidan en 2014 et qu’il était temps pour eux de rentrer dans leurs fonds, la brutale remise à jour imposée par Trump ne manque pas de sel.

Trump et la stratégie du «shock and awe»

Gavées de dollars pendant des décennies, les myriades d’ONG censées promouvoir la démocratie, les droits de l’homme, la lutte pour le climat et la défense des minorités sexuelles se retrouvent nues comme des vers. Le robinet des subventions vient de se tarir. Pour certaines d’entre elles, il ne se rouvrira pas. Mais la plupart retrouveront la drogue qui les fait vivre. A des conditions qui risquent d’être fort déplaisantes. Elles devront en effet réclamer leur dû, justifier et réorienter leurs dépenses, modifier leur agenda politique et sociétal, rendre des comptes. Bref, elles devront faire allégeance au nouveau maître de la Maison Blanche. La tâche de faire le tri a été confiée à Marco Rubio, le patron du Département d’Etat, auprès duquel l’USAID a été directement rattachée.

Ne doutons pas que, le premier moment de sidération et d’indignation passé, la plupart des bénéficiaires s’empresseront de s’aligner, comme ils l’avaient fait vis-à-vis des précédentes administrations.

Cette péripétie illustre de façon spectaculaire la méthode de Trump, qui a porté au sommet la stratégie du «shock and awe», du choc et de la stupeur, déjà appliquée depuis des lustres par les Etats-Unis pour semer la sidération et la terreur chez leurs adversaires. On relira à ce propos le livre de Naomi Klein sur la «stratégie du choc». La proposition délirante consistant à déporter deux millions de Palestiniens pour construire une nouvelle Côte d’Azur gazaouie à l’intention de la nomenklatura israélienne relève de la même tactique. Laquelle peut se révéler payante lorsqu’on cherche à obtenir des résultats rapides. Pour les gains à long terme, c’est moins sûr.

Russie et Chine misent sur le soft power

Les Russes et les Chinois font en tout cas le pari inverse. Ils misent sur une stratégie discrète, bottom up et non pas verticale, qui est à l’opposé de celle de l’Occident, et qui est contre-intuitive pour lui, les démocraties occidentales ayant tendance à se représenter ces deux puissances comme autoritaires et donc par principe opposées à tout ce qui vient d’en bas.

A l’exception de la Mer de Chine, où elle est directement confrontée aux manœuvres de la septième flotte américaine, la Chine agit toujours en douceur, en misant sur le soft power plutôt que sur la force militaire ou la menace. Le projet des Nouvelles routes de la soie, qui est son principal instrument de politique étrangère, est conçu comme une opération de partenariat horizontale, non contraignante, à la carte et sur une base volontaire. Les contraintes idéologiques et les ingérences politiques dans les affaires internes d’un tiers y sont expressément exclues. Même la politique à l’égard de Taiwan est empreinte de retenue. On réplique aux provocations politiques (visites de hauts dignitaires comme Nancy Pelosi) et militaires (exercices et parades maritimes dans le détroit) mais on ne prend jamais l’initiative d’une agression. Idem dans le domaine économique. On riposte aux mesures protectionnistes ou aux sanctions contre des entreprises chinoises, mais en laissant toujours une porte ouverte à la négociation. Bref, tout le contraire de ce que les Etats-Unis ont fait avec la Russie en Ukraine, où ils n’ont cessé de pousser Moscou dans ses derniers retranchements depuis 2014.

Une Charte eurasienne de la diversité et de la multipolarité au 21e siècle

Quant à la Russie, elle applique une méthode similaire, malgré les apparences. Dans sa déclaration de Brest du 22 novembre dernier, rédigée conjointement avec la Biélorussie et intitulée «Vision commune d’une Charte eurasienne de la diversité et de la multipolarité au 21e siècle», restée complètement ignorée en Occident, elle a proposé aux pays d’Asie une manière de faire elle aussi horizontale et respectueuse des différentes cultures, traditions et civilisations de l’espace eurasien. On y voit le meilleur moyen d’y renforcer le développement économique, culturel, environnemental et sécuritaire.

Ce faisant, comme le relève l’expert du Club Valdai Ivan Timofeev, Moscou a renoncé à présenter un plan clé en main, avec lignes directrices et marches à suivre typiques de l’approche occidentale, pour laisser chaque pays libre de contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre du projet. L’idée est de créer un cadre de discussion, un espace d’interaction, un environnement créatif ouvert et libre. Deuxième principe: il ne s’agit pas de créer une coalition anti-américaine ni d’enrôler les participants dans une lutte contre l’Occident. Au contraire, on prend le contrepied de l’image que l’Occident essaie de donner de la Russie pour la discréditer aux yeux de ses potentiels partenaires. Contrairement à l’Occident qui prétend appliquer la démocratie dans chacune de ses unités mais pas entre elles – voir la vassalisation des Européens par les Américains et la vassalisation du reste du monde par l’Occident – l’espace eurasien entend appliquer rigoureusement la Charte des Nations unies et la stricte égalité de ses membres entre eux.

Quelle stratégie sera la plus efficace?

Troisième principe: éviter toute contrainte idéologique. La Russie, tirant la leçon de l’expérience ratée de l’Union soviétique qui avait sombré en voulant imposer de force son prisme idéologique aux autres nations et avait exposé aux yeux de tous le fossé béant entre ses beaux principes et sa triste réalité, préfère laisser ce fardeau à l’Occident, qui étale désormais sa faillite morale et la discrépance entre ses beaux principes affichés et ses exactions sur le terrain au reste du monde médusé.

Quatrième objectif: ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Pendant des décennies, l’Occident a été capable de créer des institutions, des organisations, des rendez-vous à géométrie et à buts variables qui ont fini par tisser un maillage étroit entre les divers membres et participants. Pour le continent eurasiatique, ce processus ne fait que commencer et rien ne sert de mettre en place une structure de pilotage rigide qui éclaterait au premier obstacle venu. Mieux vaut laisser du temps au temps, et parier sur le fait que le respect de la diversité finira par porter ses fruits tôt ou tard et que la confiance et l’autorité seront plus efficaces que la domination et la coercition.

Cinquième principe: dans un système international devenu anarchique et conflictuel, la Russie, de par sa masse et ses responsabilités nucléaires, se doit de rester libre de ses mouvements et, comme l’a montré l’affaire ukrainienne, elle doit pouvoir mener une guerre en cas de menace contre sa sécurité, sans y entrainer les autres et sans risque de mettre en péril l’édifice commun. Une approche souple, graduelle et horizontale est donc préférable à la constitution d’un bloc rigide dirigé par un leader unique et autoritaire.

Ce sont d’ailleurs les mêmes principes qui président au fonctionnement des BRICS+.

Reste maintenant à savoir quel camp sera le plus efficace: le démocratisme autoritaire de l’Occident sous la férule de Trump ou l’autoritarisme démocratique de l’Eurasie pilotée par le duo Poutine - Xi Jinping?

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