Analyse / Bienvenue dans l’ère post-libérale!
Face à ses adversaires divisés, Trump a beau jeu de les jouer les uns contre les autres, comme il vient de le faire en gelant soudainement son projet de taxes douanières pour mieux cibler la Chine. Mais ce revirement de situation momentané n’y change rien: nous sommes résolument entrés dans une nouvelle ère, post-libérale sur tous les plans, économique et commercial, mais aussi politique, moral et métaphysique.
Les Américains ont toujours eu maille à partir avec les taxes. On se souvient que la révolution qui avait conduit à leur indépendance en 1776 avait commencé avec la fameuse Boston Tea Party et la révolte contre les tarifs douaniers imposés aux colonies par la Couronne britannique, très endettée par la Guerre de Sept Ans. deux cent quarante-neuf ans plus tard, ils rejouent la pièce à l’envers: ce sont eux qui imposent des taxes prohibitives au reste du monde pour se refaire une santé économique et financière. Avec les mêmes conséquences, à savoir une révolte réussie contre eux?
Il est en tout cas amusant de constater que les mêmes causes ont les mêmes effets. A l’époque, les victimes des taxes abusives avaient essayé de plaider leur cause avec le slogan «Pas de taxation sans représentation», invoquant le fait qu’il était illégal de taxer des gens qui n’avaient pas de représentants au parlement de Londres. Ce dont le roi s’était moqué comme d’une guigne. C’est assez proche de ce que demandent les lésés d’aujourd’hui, qui se bousculent à Washington pour plaider leur cause auprès d’un prince méprisant et fantasque.
Diviser pour mieux régner
A l’époque, l’histoire avait répondu à ce bras-de-fer de façon très contrastée: les Etats-Unis avaient gagné leur bataille, étaient devenus indépendants et ont fini par supplanter leur ancien maître anglais au 20e siècle. Mais de son côté le Royaume-Uni s’était redressé et avait entamé un développement inégalé au point de devenir la plus grande puissance industrielle et géopolitique du monde jusqu’en 1914…
On peut hurler, vociférer, s’indigner contre le Grand Méchant Trump, mais il serait erroné de tirer des conclusions trop rapides. Face aux puissances émergentes de la Chine et des BRICS, les Etats-Unis peuvent aussi tirer leur épingle du jeu et se reconstruire comme première puissance économique et politique mondiale. Ce n’est pas certain, car ils sont dans une phase de déclin plus prononcée que ne l’était le royaume britannique à l’époque. Leurs adversaires coalisés sont aussi plus puissants qu’eux. Mais ils sont aussi très divisés et Trump aura beau jeu de les jouer les uns contre les autres, comme il vient de le faire en gelant soudainement son projet pour mieux cibler la Chine.
Le politique va reprendre le pas sur l’économique
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’on entre résolument dans une nouvelle ère, post-libérale dans tous les sens du terme. Le libéralisme est mort et il est mort pour longtemps, et cela sur tous les plans, économique et commercial, mais aussi politique, moral et métaphysique. L’histoire n’est pas linéaire ni répétitive, mais elle connait des mouvements de balancier de grande amplitude. Or la fin du libre-échangisme économique et le retour des tarifs douaniers impliquent mécaniquement un retour des frontières, et donc des Etats, et donc du politique, lequel va peu à peu reprendre le pas sur l’économique.
C’est déjà le cas chez les grandes puissances dites illibérales: la Russie tout comme la Chine ont remis leurs oligarques à l’ordre et réaffirmé la prépondérance du politique sur l’économique. En Russie, l’Etat a pris le dessus et en Chine la méritocratie néo-confucianiste du parti a fait rentrer dans le rang les néo-milliardaires enrichis par la libéralisation économique. Les démocraties suivront, bon gré mal gré. Elles ont d’ailleurs déjà commencé à le faire comme on a pu le constater pendant la crise du Covid, qui a vu les Etats imposer des mesures de contraintes sans précédent aux entreprises et aux populations effrayées. La nouvelle guerre des tarifs va coûter cher, fragiliser les sociétés, amplifier les inégalités, décupler des tensions sociales et internationales auxquelles seuls les pouvoirs politiques seront en mesure de répondre.
Les dérives sociétales du libéralisme
Ce mouvement va aussi affecter les mœurs et la vie en société. On a longtemps pensé, avec Montesquieu, que le doux commerce allait automatiquement générer de la démocratie, de la tolérance, de la liberté, et que la démocratie libérale allait partout régner. Telle était la prophétie du chercheur en science politique américain Francis Fukuyama. Cela s’est avéré faux à plusieurs titres. D’abord il s’agissait d’un fantasme occidental, les autres peuples du monde étant attachés aux libertés, mais pas forcément sous la forme de la démocratie libérale représentative de type occidental.
Et ensuite, le libre-échangisme économique apparait aussi comme vecteur d’inégalités sociales et de vulnérabilités croissantes pour les classes moyennes et inférieures. Le libre-échange est vorace et envahissant. Pour fonctionner, il doit s’étendre aux capitaux mais aussi aux personnes. Or la libre-circulation des personnes et l’arrivée massive de migrants menacent les emplois et le statut des classes moyennes et inférieures tout en enflammant le débat politique. Tensions garanties!
Enfin le libéralisme est porteur de dérives sociétales. Que celles-ci soient réelles ou imaginaires importe peu. Le fait est qu’elles sont considérées comme des excès par une fraction de plus en plus large des peuples à qui l’on a forcé la main sur ces questions. Le retour aux frontières étatiques s’accompagne très logiquement d’un retour aux frontières de genre, de sexe, de race et de morale traditionnelle.
Il faudra s’adapter au post-libéralisme
On peut le déplorer mais c’est ainsi. Trump, qui incarne de façon spectaculaire ce double mouvement, à l’instar de tant d’autres figures – Orban, Poutine, Erdogan, Xi Jinping, ben Salmane – est devenu en quelque semaines la figure emblématique du post-libéralisme en Occident. On peut le haïr, mais on ne peut pas le changer. Les dirigeants européens, qui essaient de faire de la résistance, devront s’y adapter. A nous de les y aider, tout en évitant que l’anti-libéralisme ne fasse à son tour trop de dégâts.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@von 12.04.2025 | 11h47
«Bravo pour cette analyse! J'y rajoute une couche.
De mon point de vue, par nature, la mondialisation ne peut pas fonctionner. Pour la bonne raison que c'est un système humain auquel il manque une régulation.
Son principal défaut est qu'il marche en roue libre, uniquement régulé par les lois du marché. Or celles-ci sont implacables, ce sont celles du capitalisme, du "toujours plus". Vouloir plaquer un système à fonctionnement libre sur une constellation d'états ayant des législations différentes ne peut amener qu'à l'anarchie, où ce sont les plus malins qui gagnent. En jouant sur les lois et les niveaux des salaires, les affairistes délocalisent la production dans les pays à bas salaires, corrompent les élites locales afin d'y conserver leurs privilèges, et revendent les produits finis dans des pays à haut pouvoir d'achat.
Ce faisant, ils ont bien procuré du travail à des gens qui n'en avaient pas auparavant, mais au prix de la stagnation du niveau de vie du dit pays puisque le déséquilibre entre le prix à la production et le prix à la vente est la base du fonctionnement de leur business plan.
La mondialisation s'ajuste donc, non pas sur l'élévation du niveau de vie des pays pauvres, mais sur la différence des niveaux de vie entre pays pauvres et pays riches.
On nous a "vendu" la mondialisation comme étant un système vertueux capable de sortir les pays pauvres de la misère. En réalité il n'en a rien été puisque c'est le capitalisme pur et dur qui s'est imposé. Un système économique que personne ne moralise et où le profit est la seule loi.
Il s'en est suivi de ce qui devait s'ensuivre: les riches sont devenus de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Avec deux effets collatéraux: une démographie mondiale galopante (dès qu'on donne à manger à une population, elle procrée) et une pollution mondiale du climat générée par l'usage intensif des énergies fossiles et par le déplacement des produits entre le lieu de leur production et celui de leur consommation.
Nous en sommes là, avec un monde qui s'asphyxie à force d'excès: trop de monde partout, trop de voitures sur les routes, trop de sols bétonnés, trop de densification, trop de bateaux, trop de containers, trop de pollution et, finalement, un climat dont la température augmente et qui provoque catastrophes sur catastrophes.
Il manque un chef dans toute cette organisation, un maître à penser, un dieu, et malheureusement, ceux qui s'imposent sont hélas les plus malins, les prédateurs, précisément ceux qu'il ne faudrait pas mettre au pouvoir. Ainsi en est-il actuellement dans le pays le plus puissant du monde.
C'est la loi de base de la nature, celle du plus fort, qui s'impose. Ainsi en est-il depuis la nuit des temps: le plus fort mange le plus faible, qui mange le plus faible, qui mange... etc.
Et pourtant l'intelligence intrinsèque de l'Homme a cru au fil des temps, son cerveau à grossi et il a atteint un niveau intellectuel inégalé. Il est capable de comprendre la physique quantique, de manipuler les gênes, d'inventer le smartphone, l'intelligence artificielle et le fil à couper le beurre. Et pourtant, l'Homme n'arrive pas à comprendre qu'il est arrivé à un tournant de l'évolution et qu'il doit réformer son mode de fonctionnement sous peine de s'autodétruire, passer de "l'accaparement" des ressources, à sa "répartition".
On en voit les prémices à Gaza, où les Israéliens ne voient plus les excès qu'ils font à tuer du Palestinien. Ils sont aveuglés par la vengeance et par la peur. Tout homme "normal" sait qu'il fait souffrir des gens lorsqu'il les martyrise, pas là bas. Les Israéliens tuent chaque jour des civils sans sourciller, ces derniers ne comptent plus, ce ne sont plus des humains comme eux, ce sont des sous-hommes, des "animaux" comme l'a dit leur ministre.
Le paradoxe, c'est que les Juifs ont eux-mêmes connu ce genre de tragédie, mais ils ne s'en souviennent plus. Finalement leur "plus jamais ça" s'est transformé en "on remet la compresse". Jusqu'à la fin des temps? La loi de la nature, la violence, toujours elle?
L'Homme est devenu super-intelligent mais il utilise ses facultés pour dominer encore plus ses semblables et pour inventer des armes de destruction toujours plus efficaces. La finalité de cette évolution sera son auto-destruction.
A moins que la fameuse intelligence de l'Homme le convainc que le salut est dans la paix et la non-violence. Tous semblables, tous frères, sur une terre dont il faut se partager harmonieusement les ressources et non les gaspiller! L'exemple pourrait venir de la Palestine, où la volonté de paix pourrait transformer la région en deux pays paisibles et extraordinairement prospères. C'est l'exemple qu'attend l'Humanité !
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