Actuel / Services secrets, justice secrète
La loi sur le renseignement est en vigueur depuis le début de ce mois. Il incombe désormais au Tribunal administratif fédéral d’approuver au préalable, ou de refuser, les opérations des services secrets les plus attentatoires aux libertés individuelles autorisées par la nouvelle loi. La confiance qu’inspire ce contrôle judiciaire est toutefois affaiblie à un double titre. En effet, alors même que les enjeux paraissent particulièrement délicats, la responsabilité de ce contrôle incombera exceptionnellement à un magistrat unique et non à un collège de plusieurs juges comme c’est généralement la règle. De plus, les décisions rendues seront tenues rigoureusement secrètes, de sorte qu’il sera impossible de l’extérieur de porter la moindre appréciation sur l’effectivité de ce contrôle.
La fameuse loi sur le renseignement (LRens), qui donne des pouvoirs étendus aux services secrets suisses pour lutter contre la menace terroriste, est entrée en vigueur le 1er septembre. Très controversée, elle avait fini par être approuvée en votation populaire il y a un an. Depuis le début de ce mois, le Tribunal administratif fédéral (TAF) se tient donc prêt. Car c’est à lui qu’incombe désormais la tâche délicate de donner le feu vert de la justice à l’engagement par le Service de renseignement de la Confédération (SRC) des mesures d’investigation les plus invasives prévues par la nouvelle loi.
Les agents fédéraux sont effet autorisés à engager, sur le territoire suisse lui-même, des moyens qui leur étaient jusqu’ici refusés: ils pourront installer des logiciels espions pour infiltrer des ordinateurs, poser des micros dans des lieux privés ou écouter des conversations téléphoniques en dehors de toute procédure pénale, c’est-à-dire sans qu’aucun soupçon concret ne pèse sur la personne visée.
Le contrôle des juges, une garantie importante
Mais attention : la LRens encadre le recours à ces moyens pour le moins attentatoires aux libertés d’un certain nombre de garde-fous. Le SRC devra en particulier obtenir deux autorisations préalables: la première du Tribunal administratif fédéral, chargé de contrôler que la mesure n’est utilisée que dans les cas prévus par la loi, et la seconde, de nature politique, du chef du Département de la défense.
Indépendant, garant du respect du droit, l’aval du pouvoir judiciaire revêt une importance toute particulière. Durant la campagne précédant la votation, le droit de veto donné au troisième pouvoir avait été présenté comme une garantie solide contre tout risque de dérive.
Avec le recul, on s’étonne cependant que les opposants n’aient guère pointé du doigt ce qui apparaît comme une étrangeté. Car la tâche cruciale de vérifier le respect de la loi par le SRC est confiée par la loi non pas à une formation collégiale de trois magistrats au moins – ce qui constitue la règle au TAF –, mais à un juge unique. Le souci était d’alléger la procédure au maximum pour ne pas retarder le travail des espions. Le TAF devra d’ailleurs se prononcer dans les cinq jours, pas un de plus.
Une juge seule face à sa conscience
Au sein du tribunal, c’est la juge Salome Zimmermann, présidente de la 1ère Cour du TAF, Zurichoise élue par l’Assemblée fédérale en 2005 sur proposition du Parti socialiste, qui traitera des demandes des services secrets. Elle aura certes une suppléante qui pourra la remplacer, mais elle n’en restera pas moins seule face à sa conscience. Elle traitera les dossiers qui lui parviendront du SRC dans un bureau sécurisé auquel seul un nombre restreint de collaborateurs pourront accéder. Les échanges de données auront lieu via une infrastructure informatique elle aussi sécurisée.
Les décisions qu’elle rendra resteront en outre totalement secrètes. C'est le second point sur lequel on peut éprouver de sérieux doutes. Seule la délégation des commissions de gestion des chambres fédérales, qui assume la surveillance parlementaire sur les services secrets, pourra obtenir des informations. Le public et la presse, eux, ignoreront tout du nombre de cas tranchés et de la proportion des approbations et des refus. Ils n’auront aucun moyen de se faire une idée de la jurisprudence suivie, des critères utilisés pour accepter ou rejeter les requêtes du SRC.
Un choix discutable
Ce black-out complet a été voulu par le TAF lui-même, qui l'a inscrit dans son règlement sur l’information. Chacun comprendra qu’une publicité intégrale des décisions rendues en la matière pouvait difficilement être envisagée compte tenu de leur objet. Mais les juges ont privilégié l’extrême inverse en excluant toute forme d’information, en particulier statistique.
Il ne s’agit pas pourtant pas ici d’opérations d’espionnage à l’étranger effectuées en violation de la souveraineté d’un autre Etat et qui pour cette raison ne peuvent être officiellement reconnues. Les mesures soumises à l’appréciation de la juge Salome Zimmermann seront au contraire effectuées sur le territoire suisse et toucheront probablement le plus souvent la population résidente. Elles devront respecter strictement la légalité. Or en raison du dispositif choisi, il sera impossible de l’extérieur de porter la moindre appréciation sur l’effectivité du contrôle exercé par le TAF.
S’il est vrai que la justice, comme aiment à le dire les Anglo-Saxons, «has not only to be done, it must also be seen to be done», on peut en déduire que la justice secrète que s’apprête à rendre le TAF pourra difficilement avoir l’air d’être rendue.
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